ANALYSES

« Le drame de l’Europe ou de la France serait de ne plus croire en ses forces agricoles »

Presse
22 février 2019
Interview de Sébastien Abis - Les Echos
La souveraineté agricole européenne est-elle menacée ?

Non, car pour le moment nous avons encore l’Union européenne et une Politique agricole commune (PAC). Le danger serait de voir demain ces ambitions géopolitiques se réduire, ou pire se déconstruire. Comment pourrions-nous vouloir cultiver une souveraineté agricole européenne si on favorise la désunion des Européens ou si on écarte l’agriculture des priorités de l’Europe, quand d’autres pays réinvestissent ce secteur ? En outre, cette « souveraineté » mérite d’être affirmée en pensant à la fois à la protection des intérêts européens et aux relations ouvertes avec le monde. L’agriculture est un secteur clef qui concerne une multitude d’enjeux économiques, territoriaux, sociaux ou sanitaires. L’Europe dispose de nombreux atouts, ils peuvent faire l’objet de convoitises venues d’ailleurs. Il faut faire preuve de vigilance, mais il faut surtout reprendre conscience du caractère stratégique de l’agriculture vis-à-vis de l’international. La piste à suivre n’est en aucun cas de se recroqueviller ou de se fermer aux dynamiques de la mondialisation.

Comment rester dans la course ?

Le drame de l’Europe ou de la France serait de ne plus croire en ses forces agricoles et alimentaires. D’autres puissances comme la Russie, ou d’autres acteurs comme les GAFAM [pour Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft] ou leurs concurrents chinois les BATX [pour Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi], sont plus entreprenants car ils ont pris conscience de la centralité des enjeux agricoles et alimentaires. Le pouvoir technologique des GAFAM redéfinit le monde agricole classique. A l’inverse, nous devenons myopes et n’accordons plus à ces questions leur juste place dans le débat géopolitique. Pourtant, l’Europe produit beaucoup grâce à ses avantages géographiques et pédoclimatiques (le climat interne du sol, NDLR), elle produit bien et dispose d’un système de sécurité sanitaire exceptionnel. Enfin, elle produit de tout ou presque. Tout le défi pour l’Europe – et pour la France – consiste à poursuivre un demi-siècle de performances en essayant de faire mieux. Il faut optimiser les relations entre agriculture et environnement, favoriser les approches circulaires, ménager nos ressources naturelles. Rester dans la course signifie aussi réconcilier agriculture et société, rassurer les consommateurs, tout en exigeant plus de transparence dans le secteur. Enfin, il faut renforcer les coalitions entre acteurs : les pouvoirs publics, les entreprises, les universités ou les ONG.

L’agriculture est donc une politique d’avenir ?

L’alimentation parle à tout le monde, c’est un besoin vital et nous avons chaque jour un lien intime avec elle. D’ici à 2050, il sera nécessaire de produire 50 % de nourriture en plus pour satisfaire les demandes d’une population mondiale plus nombreuse, plus urbaine et plus exigeante. Les innovations technologiques, écologiques, socio-organisationnelles et économiques seront indispensables. La sécurité alimentaire passe par un effort de tous les instants et l’exploration d’une myriade de solutions. A cela s’ajoutent les équilibres spatiaux à préserver car l’agriculture permet d’entretenir la vitalité des zones rurales et d’y créer des emplois dans différents domaines : agricole, agro-industriel, agro-énergétique ou agro-tertiaire. Sans ces activités agricoles, les mondes ruraux ne seraient que des espaces de détente ou des musées à ciel ouvert.

Entretien réalisé par Muryel Jacque pour les Echos.
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