ANALYSES

« Le gel des revenus du pétrole est catastrophique pour le Venezuela »

Presse
7 février 2019
Malgré les tensions depuis vingt ans entre Washington et Caracas, les échanges pétroliers entre les deux pays sont restés à des niveaux importants. Peut-on parler d’un tournant avec l’annonce du Trésor américain, le 28 janvier, de l’interdiction de tout commerce avec la compagnie nationale PDVSA ?

Oui, il s’agit incontestablement d’un tournant dans ces relations très anciennes entre les États-Unis et le Venezuela. Jusqu’à la fin de l’année 2018, le Venezuela restait un fournisseur important de pétrole aux États-Unis, le quatrième derrière le Canada, l’Arabie saoudite et le Mexique. Ces exportations étaient cependant en baisse depuis au moins une dizaine d’années, non pas à cause des difficultés politiques, mais à cause de l’effondrement vertigineux de la production pétrolière au Venezuela. C’est un pays qui produisait environ 3 millions de barils par jour à la fin des années 1990, contre 1,3 million à la fin 2018.

Jusqu’à présent, l’entreprise nationale PDVSA était relativement ménagée par les sanctions imposées par Washington. Depuis le décret signé par Donald Trump, le 28 janvier, PDVSA peut encore exporter son pétrole aux États-Unis, mais ces sanctions prévoient que l’argent correspondant à ce flux d’importation soit gelé et ne revienne pas dans les caisses du gouvernement actuel, qui n’est plus reconnu comme légitime par les États-Unis. Le « dilemme » pour Nicolas Maduro est donc le suivant : soit il « donne » son pétrole aux États-Unis, puisqu’il ne peut plus espérer récupérer de l’argent contre l’or noir exporté sur le sol américain, soit il renonce à ce marché qui représentait jusqu’à aujourd’hui son premier débouché commercial, ce qui revient à peu près au même. Peut-il remplacer les États-Unis, premier consommateur mondial de pétrole ? C’est une question d’autant plus épineuse qu’une partie de la production de pétrole au Venezuela n’est pas de bonne qualité et nécessite des raffineries spécialement équipées pour le traiter, ce qui est le cas des États-Unis.

Selon vous, les investissements de la compagnie russe Rosneft dans l’industrie pétrolière du Venezuela expliquent-ils le raidissement des États-Unis ?

Je pense que ce tournant s’explique avant tout par la situation politique et les tensions entre Washington et Caracas. Supposons que la Russie et Rosneft n’aient pas effectué de prêts au Venezuela garantis par des participations dans les entreprises pétrolières, le scénario auquel nous avons assisté ces derniers jours n’aurait pas différé d’un iota. Même si l’enjeu russe est bien évidemment pris en compte, il s’agit avant tout d’affaiblir « l’ex-régime de l’ex-président Maduro », pour reprendre la terminologie américaine, et forcer une transition politique. Si les États-Unis veulent s’en prendre directement à la Russie et à Rosneft, ils disposent d’un autre arsenal de sanctions lié notamment au conflit en Ukraine.

Quel va être l’impact pour le gouvernement Maduro du gel des avoirs de Citgo, filiale de PDVSA aux États-Unis ?

Il y a un lien très étroit entre les revenus du pétrole et la situation sociale au Venezuela, puisque les revenus de l’or noir permettent de financer les programmes sociaux du gouvernement Maduro. PDVSA, c’est vraiment la vache à lait du pays, quel que soit le président en place. Dans ce contexte, Citgo tient une place à part : il y a les exportations qui rapportent et celles qui s’effectuent dans le cadre de remboursements de prêts, notamment vis-à-vis de la Chine et de la Russie, et qui ne permettent pas de dégager un flux significatif de devises. Le gel des revenus de Citgo est donc absolument catastrophique pour Caracas.
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