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« Ayez confiance ! Ayez confiance ! » : quand Donald Trump entre en campagne

Presse
6 février 2019
Les États-Unis sont déjà entrés en campagne présidentielle. Donald Trump l’a rappelé à tout le monde à l’occasion de son second discours de l’Union du 5 février, qu’il a parfaitement maîtrisé et réussi. Comme toutes les bonnes pièces, celle-ci s’est jouée en V actes. Du grand spectacle.

Acte I : unité et rassemblement

Le discours de l’Union est un exercice obligé, prévu dans la Constitution et consacré par la tradition. Donald Trump jouait donc sur du velours : il est le président des États-Unis. Des paroles d’apaisement font partie intégrante de l’exercice, et c’est bien ce que redoutaient les démocrates.

Chuck Schumer, le leader des démocrates au Sénat, qui avait vu venir le danger, a tenté de désamorcer un potentiel bon effet de ce discours juste avant d’entrer dans l’hémicycle :

« Donald Trump rassemble une fois par an et divise durant les 364 jours qui suivent. »

L’exercice est en effet forcément à l’avantage de l’orateur qui, par sa posture, sa position dans l’assemblée, l’audience large à laquelle il s’adresse, qui comprend les deux chambres exceptionnellement réunies, la Cour suprême, le gouvernement, les corps constitués, les corps d’armée, les très nombreux invités des parlementaires, et les 50 millions de téléspectateurs qui l’ont regardé en direct, se hisse instantanément au-dessus de la mêlée. Tout le monde se souvient à ce moment-là que le chef, c’est lui, parce que peuple en a décidé ainsi, selon les règles électorales de ce pays.

Il a donc prononcé ces paroles attendues, s’adressant à tous, républicains, démocrates et indépendants, donnant le bon exemple en tendant la main à ses ennemis et promettant d’agir « au-dessus des partis » pour « la grandeur de l’Amérique ». Le premier coup adressé à l’opposition n’a pas tardé dans son discours, toutefois :
« Nous devons savoir rejeter la politique de la revanche et travailler pour le bien commun. »

Acte II : mon bon bilan à moi

Une fois qu’il a eu enfilé le costume présidentiel, Donald Trump a aussitôt enchaîné avec son bilan, dont il a naturellement vanté la grande réussite, à coup de superlatifs dont il n’a pas été économe pour rappeler « le boum économique sans précédent » : les 5,3 millions de créations d’emplois nouveaux, dont 600 000 dans le secteur industriel ; le chômage au plus bas niveau depuis la fin des années soixante, la croissance au beau fixe et l’inflation qui est au plus bas. Tout cela, a-t-il rappelé, a été rendu possible grâce à une réforme des impôts « massive » et la fin des pénalités « impopulaires » infligées à celles et à ceux qui ne voulaient pas ou ne pouvaient pas adhérer à l’Obamacare.

Ce discours a donné l’occasion aux futurs électeurs qui auraient manqué ses prises de paroles précédentes d’obtenir un condensé de toutes ses réalisations, raconté par lui-même. Quelle formidable tribune pour rappeler que « [son] gouvernement a supprimé plus de régulations dans un laps de temps très limité que n’importe quel autre gouvernement dans tout un mandat », que les réductions d’impôts sont « historiques » et que le secteur de l’énergie connaît une « révolution ». Et, enfin, que l’armée américaine est redevenue « la plus puissante du monde ».

Ce discours s’adressait, avant tout, à ses propres supporters, celles et ceux qui le soutiennent depuis le départ et lui montrent une fidélité à toute épreuve. Il devait aussi ébranler les convictions de celles et ceux qui le combattent et qui pouvaient réaliser là leur erreur, en écoutant un rapport non-filtré par les démocrates sur l’état « réel » de la nation.

Acte III : Le mur, sinon rien

S’il fallait chercher le Trump que l’on connaît le plus, celui qui ne cède jamais, qui est déterminé et qui tient ses promesses, c’est dans la troisième partie du discours qu’il s’est révélé. Sur le thème de la sécurité nationale, il a réaffirmé sa promesse de construire un mur à la frontière avec le Mexique.

La question de sa fermeté et de sa détermination avait été posées avec la fin du shutdown : les démocrates y ont vu une victoire et les plus conservateurs un signe de faiblesse évident. Donald Trump a signifié aux uns et aux autres qu’ils s’étaient trompés : c’est lui qui décide des règles du jeu et elles n’ont pas changé. Il l’a clairement signifié : « Je construirai le mur. »

Beaucoup s’attendaient à ce qu’il décrète l’état d’urgence au cours de ce discours, ce qui signifie qu’il se serait arrogé les pleins pouvoirs, faisant fi des prérogatives du Congrès. Mais il n’a pas commis cette erreur, qui lui aurait aliéné une grande partie de son camp, lequel se serait senti insulté, alors que le temps de la négociation n’est pas terminé.

Mais il a insisté : le délai court jusqu’au 15 février et il agira tout seul à ce moment-là si rien n’a été fait par le Congrès entre-temps. Ses supporters apprécieront qu’il reste l’homme courageux qu’ils ont élu et qu’il tienne ses promesses. Il était absolument nécessaire pour lui de restaurer cette image.

Acte IV : la séduction

La base de Donald Trump est extrêmement solide et fiable, mais sa cote de popularité est inhabituellement faible pour un Président et stagne autour de 40 à 42 %. Si cet état de fait était secondaire au cours des deux premières années de mandat, il lui faut désormais tenter de conquérir – ou de reconquérir – au centre du jeu politique.

Trump a donc utilisé deux armes pour arriver à ses fins : la première a été de faire peur et, sous prétexte de parler du Venezuela, le Président a averti ses concitoyens sur les dangers du « socialisme », au moment où les candidats démocrates se déclarent les uns après les autres, et qu’ils semblent tous se positionner de plus en plus à la gauche de leur parti. Même les petits nouveaux, tels Alexandria Ocasio-Cortez semblent glisser vers ce « socialisme » que Trump a dénoncé avec cette phrase forte : « Nous sommes nés libres et nous le resterons ». Les indépendants, qui peuvent prendre peur face à ce glissement du Parti démocrate, pourraient se laisser séduire par cet argument.

Si cela ne suffit pas, Trump a dévoilé un autre aspect de sa personnalité. Tenant de se repositionner comme un Président soucieux du bien-être des Américains et qui « fait » dans le social :

  • Il a proposé à nouveau son plan sur les infrastructures, chiffré à 1 500 milliards de dollars pendant sa campagne.

  • Il a multiplié les propositions relatives à la santé, terrain privilégié des démocrates. Celles-ci vont de la lutte contre le HIV (qui doit être vaincu « en dix ans ») à la lutte contre le cancer des enfants, en passant par la baisse du prix des médicaments, du coût des hospitalisations, un accès aux soins facilité et la possibilité pour celles et ceux qui souffrent d’une maladie chronique de pouvoir s’assurer sans problème.

  • Il a surtout exhumé sa proposition de campagne d’un congé maternité (et paternité) payé. Ce serait une véritable révolution dans ce pays qui est le seul État industrialisé au monde à ne pas l’avoir mis en place.


Ces propositions sont faites clairement pour changer son image et attirer à lui les indépendants et les démocrates les plus centristes, qui pourraient ne plus suivre les plus progressistes dans leur opposition systématique à la Maison Blanche.

Acte V : L’international

Terminer par un chapitre sur les affaires étrangères peut sembler maladroit dans un pays qui ne vote jamais en fonction des événements extérieurs, sauf en cas de guerre. En réalité, cela a permis à Donald Trump de rappeler à nouveau sa stature de président des États-Unis, puisque la Constitution lui réserve ce champ d’action. Trump a ainsi défendu sa guerre commerciale et tous ces choix stratégiques.

Étonnamment, c’est aux républicains qu’il a fait la leçon puisque, dans ce domaine, une résolution désapprouvant ses choix avait été votée au Sénat la semaine dernière par 68 voix contre 23 : sa majorité n’est pas en accord avec lui sur le retrait des troupes en Syrie. Mais comment le serait-elle ? Cet objectif n’était-il pas déjà celui défendu par Barack Obama ?

En mettant en porte à faux les uns et les autres, Donald Trump a réussi cette prouesse d’amener la quasi-totalité des candidats qui l’affronteront à rejeter cette résolution : Kamala Harris, Cory Booker, Kirsten Gillibrand, Bernie Sanders, et bien d’autres ont tous voté contre ce texte. Et donc pour Donald Trump !

Trump a mis un point final à rassurer l’électorat de gauche et les indépendants, généralement plus pacifistes et moins enclins à soutenir les interventions extérieures, en assurant qu’il y aurait d’autres retraits, comme en Afghanistan. Car, a-t-il dit, « un grand pays ne mène pas des guerres sans fin. »

Donald Trump peut être satisfait : il vient de faire le plus grand meeting de sa prochaine campagne. Il a même eu droit aux traditionnels hourras que l’on a-entend dans ses réunions politiques et aux cris scandés « USA, USA, USA » que les sénateurs républicains ont repris en cœur à la plus grande surprise certainement de tout le pays. Ils avaient dû se laisser griser par l’atmosphère du meeting de campagne.The Conversation

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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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