ANALYSES

Trump hors de contrôle ? Pourquoi il est largement abusif de parler du “chaos” qu’aurait provoqué la démission de James Mattis

Presse
22 décembre 2018
Interview de - Atlantico
Suite à la démission de James Mattis ce 20 décembre, actant les désaccords de fond entre le secrétaire à la défense des Etats-Unis et Donald Trump, le camp démocrate pointe une situation de chaos au plus haut niveau. Une approche confirmée par Le Monde, qui titre « Aux Etats-Unis, la surprise et le choc après la démission du secrétaire à la défense James Mattis ». Cette perception témoigne-t-elle de la réalité de la situation ?

L’article du Monde est un peu surprenant parce qu’il n’y a aucune surprise dans cette démission, qui était pressentie et attendue depuis très longtemps. Elle intervient par ailleurs à un moment « normal », si on considère que la période d’après les élections de mi-mandat est toujours propice à des ajustements, des départs et une redéfinition de la ligne politique par le président.

Mattis est le plus ancien collaborateur de Trump puisqu’il a été le premier confirmé par le Sénat, à la quasi-unanimité d’ailleurs. Seule Kirsten Gillibrand estimait qu’il n’était pas opportun de nommer un militaire pour diriger l’armée dans une république. Donald Trump, au contraire, voulait alors s’appuyer sur des militaires, pensant, à tort, que ceux-ci obéiraient au doigt et à l’œil. Mais si les objectifs de départs semblaient très proches, Donald Trump avait l’intention de « renverser la table », ce qui n’était pas du tout l’état d’esprit de James Mattis. Ce dernier a donc, à son nouveau poste, dirigé comme il l’avait toujours fait, dans un cadre d’une coopération multilatérale qui a fait d’ailleurs dire au plus grand nombre à travers le monde que rien n’avait changé aux Etats-Unis puisque « les militaires coopéraient toujours aussi bien entre eux ».

Les divergences se sont vite imposées entre les deux hommes : alors que Donald Trump avait promis de ramener tous les « boys » à la maison, sauf si les terrains de combats étaient vitaux pour la sécurité nationale(comme dans le cadre de la lutte contre Daesh), James Mattis pensait de son côté qu’on ne peut pas quitter un terrain d’opération sans le sécuriser et sans reconstruire, notamment un pouvoir politique digne de ce nom. La question comptable, qui obsède Trump, est très éloignée de la pensée de Mattis. Syrie et Afghanistan sont devenus des problèmes qui ne pouvaient que grossir et imploser, même si Mattis a eu gain de cause pendant un temps, en faisant accepter son idée de renforcer les troupes sur place, ce qui n’a rien changé pour autant et n’a pas affaibli les Talibans.

Trump veut pouvoir agir comme il l’entend et prendre les décisions sans être critiqué par son entourage, surtout les plus proches. Voilà bien un autre point que James Mattis n’a pas respecté : on l’a entendu exprimer sa différence, notamment concernant la place des personnes transgenres au sein de l’armée ou lorsqu’il s’agissait de la suspension des manœuvres conjointes en Corée du Sud, ou encore lors de l’envoi des soldats à la frontière sud pour faire face au migrants du Guatemala ou du Honduras. Dans ce dernier épisode, il rassurait les journalistes en affirmant qu’aucun soldat ne serait armé, faisant fi des déclarations du président qui prétendait le contraire.

On comprend donc que la rupture était consommée et que la séparation était proche. La nomination début décembre de Mark Milley comme nouveau chef d’état major a permis à Donald Trump de réaffirmer son rôle de chef des armées, puisque ce candidat n’était pas celui proposé par Mattis. Avec la décision de quitter la Syrie, c’est un véritable camouflet qui a été infligé au général quatre étoiles, qui en a donc tiré les conclusions qui s’imposaient.

Il n’y a là ni surprise, ni choc, mais juste un enchainement d’événement qui conduisent logiquement à une séparation qui était devenue inévitable. En revanche, sur le plan plus politicien, les démocrates se sont bien évidemment emparés de cette démission pour l’exploiter sur le thème du « chaos qui règnerait à la Maison Blanche ». C’est une ritournelle qu’il pratique maintenant depuis deux ans : elle reposait sur une réalité certaine en début de mandat, lorsque ce président n’avait aucune expérience de la fonction. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et encore moins depuis qu’il a pris le contrôle de la machine, comme on l’a vu avec les nomination des « politiques » que sont Pompeo et Bolton, puis d’un certain nombre d’autres collaborateurs, qui sont en réalité des béni-oui-oui qui ne lui feront aucun ombrage.

Comment cette stratégie de la dénonciation du chaos s’impose-t-elle en cette fin décembre ?

Pour comprendre les commentaires des uns et des autres, il faut remettre en perspective les forces politiques en présence : les démocrates viennent de gagner la Chambre des représentants et le parti républicain a renforcé sa présence au sénat. Les deux partis, qui se livrent une lutte implacable non seulement depuis l’élection de Donald Trump, mais également depuis bien plus tôt, en 2008, quand Barack Obama est arrivé au pouvoir, sont au paroxysme de leur compétition. Enfin, il y a le contexte, qui est celui de l’élection présidentielle, qui est déjà lancée aux Etats-Unis : on attend les premières déclarations officielles de candidature dès le début de l’année 2019 et chaque parti essaie de faire la différence dès maintenant.

La guerre entre Chuck Schumer, le leader des démocrates au sénat et Donald Trump n’a cessé de s’aggraver depuis que le démocrate a repoussé la proposition du président de régulariser les émigrants « DACA », ces jeunes qui sont entrés dans le pays dans leur enfance et se retrouvent sans statut fixe, en échange du financement pour son mur. Cet épisode date déjà du mois de janvier de cette année, mais Donald Trump n’a jamais cessé de revenir à la charge, encore et encore, et de demander et redemander le financement du mur.

La question du mur est, en effet devenue hautement symbolique dans ce pays : il a tellement été réclamé, tellement chanté, scandé, espéré par les supporters de Donald Trump que lui donner ce financement serait consacrer sa victoire et –certainement aussi– assurer sa réélection en 2020.C’est pourquoi les démocrates refusent tout dialogue sur ce sujet et freinent même des quatre fers.

Avec le vote du complément de budget dont la limite était le 21 décembre à minuit, la situation bascule dans la manœuvre politique : chaque camp sait qu’il y a un risque énorme a poursuivre la confrontation sur ce terrain. Ce blocage peut entrainer une cessation de paiement pour le gouvernement : c’est ce qu’on appelle un shutdown. La conséquence est la fermeture des services gouvernementaux, et les fonctionnaires ne sont plus payés. L’arrêt des activités se poursuit tant qu’un compromis n’est pas trouvé.

Le risque politique est énorme pour les deux camps et chacun essaie de convaincre que c’est la faute de l’autre : la technique des démocrates est donc, très logiquement, de lier des événements qui n’ont aucun rapport les uns avec les autres, dont la démission de James Mattis, dans le but d’expliquer qu’il y aurait le chaos à la Maison-Blanche et que ce président est un incompétent notoire. Bien entendu, en poursuivant dans cette logique de pensée, il est alors aisé d’expliquer que ce même président entraine ces pauvres fonctionnaires dans la situation extrême dans laquelle il risque de se retrouver. De son côté, le président tweete et multiplie les déclarations pour expliquer que les démocrates ont manœuvré pour ne pas financer le mur, alors que c’est une question de bon sens à ses yeux et que c’est un point qui a été tranché par le peuple lors de son élection: ils font donc de l’obstruction !

Reste à savoir quel camp cèdera le premier et quel sera l’état de l’opinion publique dans un camp comme dans l’autre à ce moment-là.
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