ANALYSES

Xi Jinping annonce que la Chine ne veut pas dominer le monde

Presse
21 décembre 2018
Comment appréhender ce discours dans le cadre de la guerre commerciale qui se joue actuellement notamment avec les Etats-Unis ?

Barthelemy Courmont : Xi Jinping s’est en fait montré à la fois rassurant et inquiétant. Notons quelques citations qui illustrent cette ambigüité dans son discours. Il déclare d’abord que « la Chine ne peut pas se développer isolément du monde, mais le monde a également besoin de la Chine pour la prospérité mondiale ». Cette phrase est rassurante, en ce qu’elle réaffirme la volonté de Pékin de privilégier le libre-échange, à l’heure des guerres commerciales de Donald Trump. Elle marque aussi la volonté de la Chine de jouer un rôle de leader sur la scène internationale, ce qui contraste avec les postures adoptées, il y a 40 ans, par Deng Xiaoping. Une autre citation va dans le même sens, mais est plus ambigüe, quand Xi déclare que « un grand pays comme la Chine mérite de grandes ambitions ». On ne saurait contester cet état de fait, et le président chinois met en avant, au-delà des ambitions, les responsabilités de la Chine sur la scène internationale. Mais il convient cependant de rester prudent quant à la nature de ces « ambitions ». Une autre citation, plus dure, montre que Xi adopte un discours qui contraste avec celui de ses prédécesseurs, quand il affirme que « personne n’est en position de dicter au peuple chinois ce qu’il devrait ou ne devrait pas faire ». S’agit-il d’un constat (car de fait, aucun pays ne peut aujourd’hui dicter à la Chine sa conduite, pas même les Etats-Unis), ou d’une mise en garde? Cette phrase est, à mon sens, la plus importante du discours de Xi Jinping, précisément parce qu’elle est à double sens, et indique que Pékin refuse désormais de jouer les seconds rôles et les critiques que les puissances occidentales peuvent formuler à son égard.

Ce genre de déclaration n’est-elle pas paradoxale quant on constate notamment la multiplication des traités bilatéraux avec les pays de l’ASEAN qui ont vidé l’organisation de son utilité ?

Il y a de nombreux traités bilatéraux entre la Chine et les pays d’Asie du Sud-est, mais il y a aussi, depuis 2010, une zone de libre-échange avec l’Asean, même si l’ensemble des pays de l’Association ne l’a pas encore signée. On relève le même type de tendance dans d’autres régions, y-compris en Europe. L’approche du libre-échange à la chinoise repose à la fois sur un statu quo, à savoir le maintien et le soutien aux organisations en place, régionales ou internationales; et sur un révisionnisme, à savoir la mise en place de nouveaux canaux, essentiellement en vue de palier à un dysfonctionnement des organisations existantes. Là où l’Union européenne reste résolument attachée aux structures existantes, et est donc une puissance du statu quo, et là où les Etats-Unis de Donald Trump semblent tomber dans le révisionnisme en remettant en cause tout ce qui ne fait plus les affaires de Washington, la Chine gagne sur les deux tableaux. En étant une puissance à la fois du statu quo et révisionniste, la Chine se distingue des autres pôles de puissance, et c’est à son avantage.

Et concernant les nouvelles routes de la soie ?

Les nouvelles routes de la soie sont, de par le montant des sommes engagées et annoncées, une obsession pour Pékin. Elles sont aussi, potentiellement, en capacité de bouleverser durablement les équilibres internationaux. Mais attention cependant. Derrière le slogan, il y a des pratiques qui relèvent dans certains cas d’approches régionalisantes, et dans d’autres cas se traduisent par des accords bilatéraux. Prenez le cas du dialogue 16+1, qui regroupe la Chine et les 16 pays d’Europe centrale et orientale (PECO). Ces forums, annuels, offrent de belles opportunités de rencontre et créent une entité régionale qui n’existait pas jusqu’alors. Mais les accords, eux, se font de manière bilatérale, parfois même en mettant en compétition les PECO. On relève la même chose avec l’Asean, ou dans les sommets Chine-Afrique qui, depuis 2000, regroupent la Chine et tous les pays africains et donnent ainsi une impression de dialogue à échelle régionale. Mais dans les faits, les accords se font directement entre Pékin et les Etats récipiendaires des sommes engagées dans le cadre de l’initiative de la ceinture et de la route.

Enfin peut-on vraiment prendre ces déclarations au sérieux lorsque l’on se penche sur le cas de Hong-Kong ?
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