ANALYSES

Bras de fer médical et politique : plus de huit mille médecins cubains font leur valise

Presse
24 novembre 2018
Le nouveau président du Brésil, Jair Bolsonaro, met fin au programme Más Médicos mis en place avec Cuba durant le dernier mandat présidentiel, entrainant le retrait des professionnels de santé cubains agissant sur le territoire brésilien.

Jair Bolsonaro, à peine élu président, a contesté la présence de médecins cubains au Brésil. «Le Brésil, a-t-il déclaré le 19 novembre 2018, ne peut assurer les rentes des dictatures». Le Ministère Cubain de la Santé publique (MINSAP) a réagi avec la même vigueur. Constatant une rupture du contrat signé avec le Brésil en 2013, il a annoncé le retrait immédiat des 8332 professionnels de santé cubains en poste dans les périphéries brésiliennes. Les consultations en cours ont été suspendues. Le retour des médecins a commencé dès le 22 novembre.

Polémique et décision qui font des victimes collatérales. Les patients brésiliens tout d’abord. Le programme Más Médicos/Mais Médicos avait été mis en place par l’ex-présidente Dilma Rousseffen 2013, afin de répondre à l’une des exigences des milliers de manifestants qui avaient demandé, dans la rue, plus d’école, plus de transports et plus de santé publique. Faute de candidats en nombre suffisant, les autorités brésiliennes avaient signé un accord de coopération avec le gouvernement cubain et l’Organisation Panaméricaine de la Santé. 11400 médecins avaient été recrutés et envoyés dans 3243 déserts médicaux, lieux non solvables et non couverts par la médecine privée : favelas, quartiers périphériques, Amazonie, districts indigènes.

Le gouvernement de fait du président Michel Temer avait progressivement réduit le recours aux docteurs cubains et fait appel à d’autres professionnels. Les Cubains n’étaient plus en novembre 2018 que 8332 sur 18240. Ces médecins participaient à ce programme pour les raisons altruistes invoquées par le Ministère Cubain de la Santé mais aussi pour mettre du gras dans la soupe familiale. Les salaires perçus leur donnaient en effet la possibilité de mettre de l’argent de côté et d’acheter des biens difficilement accessibles avec les salaires cubains. Leur présence ayant été suspendue du jour au lendemain, il ne semble pas qu’ils aient la possibilité de pouvoir rapatrier frigidaires, téléviseurs, voire pour certains bétails achetés pendant leur séjour. La franchise de poids accordée pour les retours étant selon des témoignages recueillis par la presse d’opposition cubaine de 40 kilos.

Le différent était latent et la crise finale prévisible. «Nous allons mettre un point final au Forum de São Paulo», avait dit Bolsonaro en août 2018, pendant la campagne électorale, «et expulser via la validation des diplômes les Cubains du Brésil». Ce point de vue reflétait celui de l’AMB, l’Association des Médecins du Brésil qui avait dès le départ contesté la venue de praticiens étrangers, pourtant affectés dans des lieux non couverts sanitairement. L’AMB critique aujourd’hui de façon contradictoire la décision de retrait prise par le MINSAP. Le fond de la querelle relève des fausses nouvelles massivement diffusées par Jair Bolsonaro au nom d’une croisade anti-PT, anti-communiste obsidionale.

La validation des connaissances exigée par Jair Bolsonaro et l’Ordre Brésilien des Médecins a soulevé l’indignation. Indignation des professionnels cubains, qui peuvent s’appuyer sur un indice de satisfaction élevé des patients suivis, indignation aussi du MINSAP cubain qui fait remarquer que des milliers d’étudiants étrangers sont venus se former dans les universités de médecine cubaine et que le savoir-faire cubain en la matière s’exporte dans plusieurs dizaines de pays dans le monde.

Reste malgré tout un point signalé par Jair Bolsonaro qui aurait mérité réponse de la part du MINSAP. Les médecins cubains ont accepté de servir à l’étranger, sans pour autant recevoir la totalité du salaire versé par la partie brésilienne. Ils percevaient en effet 2976,26 Reais mensuels alors que le versement était de 11 244,56. Il ne s’agit pas d’un «vol de la part d’une dictature», comme l’a écrit Jair Bolsonaro. Les médecins acceptaient de ne recevoir qu’une portion du salaire versé représentant nettement plus que ce qu’ils pouvaient espérer en restant dans l’ile, mais il y avait incontestablement un partage du gâteau nettement plus favorable au budget cubain qu’à celui des praticiens.

Le Système Unique de Santé Brésilien (SUS) a annoncé en catastrophe le recrutement de 8332 docteurs nationaux ou étrangers ayant validé leurs diplômes. Ce recrutement est ralenti par une saturation du site dénoncé par le SUS. Le Conseil de sécurité des Etats-Unis et le Ministère des Affaires Etrangères nord-américain ont adressé un message de félicitation à Jair Bolsonaro.

Alexandre Padilha, ministre de la Santé ayant négocié la mise en marche de ce programme en 2013 a fait lui, le commentaire suivant : «C’est un jour de tristesse pour la santé publique au Brésil, provoqué par l’action inconsidérée du président élu. Voilà ce qui arrive quand on place l’idéologie au dessus des intérêts de la population».
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