ANALYSES

Brexit : « La légitimité ne vient pas seulement du peuple »

Presse
2 octobre 2018
Interview de Olivier de France - La Croix
Brexit : serait-il légitime d’organiser un deuxième référendum ?

 » Une fois qu’on a dit que la légitimité du référendum venait de la souveraineté du peuple, d’un point de vue rhétorique c’est un argument massue, et personne ne va dire que le peuple a tort. Mais, inversement, à partir du moment où on place la souveraineté dans la voix du peuple, on accepte que son opinion puisse changer.

Un argument massue aussi. Les partisans du soft Brexit ou du remain ont repris cet argument. Mais on peut aussi opposer que l’on fait revoter le peuple parce qu’il a mal voté. Et on va le refaire voter jusqu’à ce qu’il vote bien. On entre alors dans un dialogue de sourds car les deux arguments portent de manière aussi puissante : d’un côté, le peuple a toujours raison, inversement, le peuple ne peut pas avoir de voix et il faut le faire revoter jusqu’à ce qu’il vote correctement.

Dans cette dialectique, ce qui est intéressant c’est le point de départ : la question de la légitimité. Dans une démocratie représentative, la légitimité ne vient pas seulement du peuple, elle vient aussi des institutions, du Parlement, du gouvernement, ce qui permet au pays une certaine stabilité dans le temps.

La question est de savoir quand on a décidé que la légitimité n’était plus celle du Parlement, plus celle du gouvernement, que c’est le peuple qui décide, y compris dans une des plus vieilles démocraties parlementaires comme le Royaume-Uni. Cela conduit à une sorte de procès en légitimité, une vraie polarisation entre les vieilles institutions britanniques puisqu’on peut opposer le peuple au gouvernement, le Parlement au peuple. Tout est parti de la décision de David Cameron de soumettre une question aussi importante à la voix populaire et d’une façon aussi binaire, oui-non.

Au congrès du Parti conservateur qui s’achève mercredi 3 octobre, il y a sur la table toute une palette d’accords possibles qui vont de garder le Royaume-Uni dans l’Union européenne à un Brexit dur, en passant par les options « à la norvégienne » ou « à la canadienne », où le Royaume-Uni serait une sorte d’îlot dérégulé aux portes de l’UE.

Ces options n’étaient pas sur la table au moment où le peuple a voté oui ou non. Plus de deux ans plus tard, la question ne se pose plus de façon aussi simple. Et aucune d’entre elles n’a de majorité, dans le pays ou au Parlement. Cette légitimité, placée dans la voix unique et exclusive du peuple, a mené à une impasse dont la société britannique n’arrive pas à sortir car elle est trop divisée en son sein même, et aussi avec ses institutions qui devaient la représenter.

Aujourd’hui, l’option de rester dans l’UE est inaudible au sein du Parti conservateur et très sensible au sein du Parti travailliste. S’il y avait un second référendum, les Britanniques voteraient sur les modalités de sortie et non sur le fait de rester ou de sortir de l’UE. »

Propos recueillis par Agnès Rotivel
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