ANALYSES

« L’énergie est au cœur de la relation Europe-Russie »

Presse
12 juillet 2018
Interview de Rémi Bourgeot - La Croix
 » En Europe, il y a une forte dépendance au gaz russe qui varie d’un pays à l’autre. Tout un débat a été mené sur la stratégie de diversification par la Commission européenne, il y a une quinzaine d’années. À l’époque, la principale alternative était ce que l’on appelle le « corridor sud », soit d’aller chercher le gaz dans la mer Caspienne. Mais le projet était complexe, lié à l’ensemble des acteurs sur la route depuis l’Azerbaïdjan. Ces projets se sont réduits jusqu’à devenir mineurs dans la question de l’approvisionnement énergétique.

Aujourd’hui, la question de la diversification est au point mort et c’est l’Allemagne qui a enfoncé le clou. Le projet de gazoduc Nord Stream 2 vise à doubler les capacités de livraisons en Europe par la mer Baltique. À l’origine, Nord Stream, c’est 55 milliards de m3 par an et, une fois doublé avec Nord Stream 2, ce sera 110 milliards. Cela montre clairement une stratégie d’approfondissement de l’approvisionnement russe. Le projet Nord Stream2, qui contourne l’Ukraine, est souhaité par Berlin qui veut sécuriser son approvisionnement en gaz. La question de la sécurité du gaz russe s’est imposée sur la stratégie de diversification. Nous sommes donc aux antipodes des projets lancés il y a une dizaine d’années.

Aussi, on observe une concurrence entre les États pour devenir un grand hub énergétique pour la redistribution vers le reste de l’Europe. Berlin s’est fortement positionné en bâtissant des capacités de stockage considérables pour pouvoir réexporter du gaz vers le reste de l’Europe. L’absence de politique énergétique européenne laisse la place à des politiques nationales qui, éventuellement, se coordonnent par groupe de pays. Le choix allemand fait office de politique européenne dans le domaine énergétique. Les États les plus réticents à l’importation du gaz russe sont ceux d’Europe centrale, qui cherchent à se diversifier du côté des États-Unis.

La question énergétique est évidemment au cœur des relations entre l’Europe et la Russie, ce qui amène à relativiser un certain nombre de problématiques politiques. Dans le cas de l’Allemagne, cette dépendance au gaz russe a contribué à une désescalade au pic de la crise en 2014, après l’annexion de la Crimée. Si les sanctions européennes sont maintenues à l’encontre de la Russie, elles n’incluent pas le domaine énergétique, contrairement à ce que souhaiteraient les États-Unis.

C’était aussi pour cette raison que l’Allemagne et la France s’étaient impliquée dans les accords de Minsk pour créer une sorte de statu quo en Ukraine. Le résultat est assez paradoxal puisque, finalement, le lien s’est renforcé en partie avec l’Allemagne et la Russie, avec un contournement accru de l’Ukraine au final. »

Propos recueillis par Audrey Parmentier
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