ANALYSES

« La gauche colombienne a toujours eu des difficultés à exister à cause des guérillas »

Presse
15 juin 2018
Comment s’est distingué Gustavo Petro, le candidat finaliste de la gauche ?

Il est un peu à l’image de ce qu’a toujours été la gauche en Colombie. Elle a toujours eu beaucoup de difficultés à exister à cause des guérillas d’extrême gauche, un fait qui est systématiquement utilisé contre tous les candidats et tous les partis qui prétendent défendre des programmes sociaux par la voie des urnes. Gustavo Petro vient d’un ancien mouvement de guérilla, le M-19, qu’il a quitté pour entrer en politique. Mais l’existence de cette gauche militarisée le handicape.

De quelle manière les accords de paix signés avec les Farc en septembre 2016 ont-ils pesé dans la campagne ?

Les accords de paix ont été signés avec une certaine mise en scène à la fin du mois de septembre 2016. Le 2 octobre 2016, l’accord est soumis à un référendum marqué par une très forte abstention de 62 %. Et la majorité des votants ont rejeté la paix proposée avec la guérilla. La campagne électorale se déroule dans ce contexte-là. Pour le candidat finaliste de droite, Iván Duque, ces accords de paix n’ont pas de raison d’être. Selon lui, la paix n’aurait jamais dû être signée, car il considère que les Farc sont une organisation criminelle qui relève de la justice et de la police. Il entend reprendre ces accords et les modifier profondément. Il a reçu le soutien de l’ancienne otage Clara Rojas, tandis que Gustavo Petro est appuyé par Ingrid Betancourt. Les deux candidats ont finalement assez peu parlé de ce point-là pendant la campagne. Petro a préféré orienter sa campagne autour des problèmes sociaux, de l’éducation, des transports ou encore des aménagements agraires.

Peut-on parler d’un engouement de la jeunesse autour de la candidature de Petro ?

C’est très relatif. Il y a eu un petit mouvement, avec des groupes issus de la société civile, en majorité des jeunes et des gens issus de la minorité afro-colombienne et indigène du nord du pays. C’est là d’ailleurs que Petro a fait les meilleurs scores, chez cette population périphérique qui a notamment été touchée par le conflit avec les Farc. Mais si Petro arrivait au pouvoir, la principale difficulté qu’il rencontrerait serait la même que celle à laquelle il faisait déjà face lorsqu’il était maire de Bogotá : il n’a pas la structure d’un parti qui lui permettrait d’avoir une implantation dans tout le pays. C’est un leader condamné à être charismatique et à passer à la télévision pour atteindre la population. A la différence du Parti des travailleurs (PT) au Brésil par exemple, où il n’y avait pas que Lula : le parti était fait de centaines de milliers d’adhérents, présents dans tout le pays. Ce n’est pas le cas de la gauche en Colombie. Il n’y a pas de tradition de vie partisane organisée.

Comment expliquer le fait qu’il n’ait pas réussi à rallier l’espace politique à gauche ?

Cela a été très compliqué pour lui. Dans toutes les élections en Amérique latine, le Venezuela sert de repoussoir. Il est instrumentalisé par les candidats de droite les mieux placés pour déstabiliser leurs adversaires de gauche ou de centre gauche. Et c’est ce qui est arrivé à Gustavo Petro, qualifié par Iván Duque de «castro-chaviste». Le Venezuela, c’est une espèce d’épouvantail de manipulation électorale, un bouc émissaire commode. Comme les relations économiques avec la Colombie sont relativement faibles, cela ne prête pas à conséquence. Petro a centré son programme sur les inégalités mais, là aussi, il a été obligé de signaler qu’il ne comptait pas mener une politique de nationalisation et qu’il allait respecter la propriété privée. Il a dû montrer à ses électeurs qu’il n’avait rien à voir avec Nicolàs Maduro.

Petro peut-il espérer obtenir le soutien de certains candidats déchus du premier tour ?

Du côté de la droite, Iván Duque a fait le plein, alors que Petro n’arrive pas à récupérer son bassin potentiel de soutien. Le candidat de centre-gauche du Parti vert et ancien maire de Medellín, Sergio Fajardo, fort de ses 23,7 % des voix, a déclaré qu’il s’abstiendrait au second tour. Il refuse d’être associé à un candidat que ses opposants surnomment le «grand loup castro-chaviste». Quant au candidat libéral, Humberto de La Calle, il a annoncé qu’il voterait blanc. Ils se protègent tous ! Il y a tout un capital de voix qui est gelé par ces appels à l’abstention.

Propos recueillis par Charles Delouche
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