ANALYSES

​Destitution de Rajoy : « Pour les socialistes, le risque de tout perdre est immense »

Presse
1 juin 2018
Est-ce un jour historique pour l’Espagne ?

Évidemment, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est la première fois dans l’histoire de l’Espagne, depuis la transition démocratique et la constitution de 1978, qu’une motion de censure réussit. C’est aussi la première fois, toujours depuis cette date, que le nouveau chef de gouvernement n’est pas lui-même député. Pedro Sanchez devient chef du gouvernement car il est le dépositaire de la motion au titre de chef de parti du PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol), le premier parti d’opposition au Parti populaire (PP) de Rajoy.

Enfin, le motif de cette sanction est lui aussi exceptionnel. Tous ceux qui ont voulu sanctionner le gouvernement en place l’ont fait pour des raisons morales et éthiques et en mettant de côté leurs divergences politiques.

Ces dernières années, plusieurs affaires de corruption ont secoué le parti dirigé par Mariano Rajoy. Comment expliquer qu’il ait pu s’accrocher au pouvoir un peu plus de six ans ?

Le gouvernement et le Parti populaire ont réussi à riposter et à esquiver les différentes accusations en allumant des contre-feux. À chaque fois qu’il y a eu un début d’affaire de corruption chez des concurrents politiques, ils se sont jetés sur le sujet pour le monter en épingle et en faire un scandale majeur. Le but était évidemment de montrer qu’ils n’étaient pas pires que les autres. Il y a eu cette affaire qui a touché le PSOE en Andalousie à propos de contrats de travail temporaires ou encore les comptes cachés en Andorre de Jordi Pujol (leader indépendantiste catalan de « Convergence et union », ndlr). Sans oublier la polémique sur l’achat d’une immense maison par les leaders de Podemos, Pablo Iglesias et Irene Montero.

Malgré tout, le PP a été affaibli par les accusations de corruption, notamment électoralement. Si on a assisté à la montée en puissance de Ciudadanos, c’est grâce à la mobilisation des électeurs de droite, donc originellement ceux du PP, qui ne toléraient plus le fonctionnement opaque, pour ne pas dire douteux, du parti de Rajoy. L’affaire Gürtel, c’est la goutte d’eau…

Les moments difficiles qu’a traversés l’Espagne depuis 2008, avec la crise économique et la cure d’austérité qui a suivi, ont rendu la question de l’exemplarité centrale. Le comportement des politiques et leur rapport à l’argent sont regardés à la loupe.

Que restera-t-il du règne de Mariano Rajoy en dehors de ces affaires ?

Outre la cure d’austérité qu’il a imposée à l’Espagne au lendemain de la crise économique de 2008, je dirais que c’est avant tout sa gestion de la crise catalane. Ou plutôt sa non-gestion. En laissant ce dossier dans les mains de la justice, il a provoqué la dérive progressive de l’électorat catalan de la simple fierté nationaliste vers l’indépendantisme. C’est une chose qui se vérifie facilement : quand Mariano Rajoy est arrivé au pouvoir, l’indépendantisme représentait 20% des intentions de vote. Aujourd’hui, on est autour de 45%. Il n’a pas voulu gérer cette crise, il a refusé tout dialogue avec les représentants de cette région.

Il a voulu obtenir le soutien « espagnoliste » en disant : « il y a une Constitution établie, il n’y a rien à discuter. Si vous voulez le faire, vous finirez devant la justice. » Sauf que cette attitude, certes ferme, a produit des résultats terribles : le dossier est désormais plus qu’explosif et l’Espagne est à deux doigts d’imploser.

La chute de Mariano Rajoy a été provoquée par une alliance surprenante entre partis traditionnels de gouvernement et régionalistes… Le futur gouvernement de Sanchez peut-il regrouper toutes ces tendances ?

Pedro Sanchez a laissé entendre qu’il voulait s’appuyer sur le Parti nationaliste basque (Pnv) comme allié préférentiel. Même si la formation ne compte que cinq députés, c’est eux qui ont fait basculer le vote en se ralliant à la motion de censure la veille du vote. Pour autant, je les imagine mal entrer au gouvernement. Ils apporteront plutôt un soutien sans participation.

La logique voudrait que Podemos gouverne avec les socialistes pour mener la politique sociale que Sanchez appelle de ses voeux. Mais, d’après moi, un autre scénario devrait l’emporter. Celui d’un gouvernement socialiste homogène soutenu, dans les différentes chambres, par les alliés du parti comme c’est le cas au Portugal. Cependant, c’est une solution qui n’est pas appelée à durer. Podemos va se montrer très exigeant et les régionalistes basques et catalans très gourmands. La seule solution, pour les socialistes, c’est d’aller aux élections et d’obtenir une majorité confortable.

Mais si l’on se réfère aux sondages, le PSOE se heurterait à Ciudadanos si des élections se tenaient aujourd’hui…

C’est pour cela que Pedro Sanchez va certainement tenter de gagner plusieurs mois avant d’organiser des élections anticipées. Ciudadanos a le vent dans le dos, il est porté par des sondages exceptionnels, ce n’est pas un hasard si son leader, Albert Rivera, met la pression sur Sanchez pour que des élections générales anticipées soient organisées au plus vite.

Pour le PSOE, le risque de tout perdre est immense. Mais il faut avant tout considérer l’intérêt supérieur de l’Espagne. La situation est critique, le pays n’a jamais été aussi divisé… En démocratie, quand on se trouve en situation d’instabilité, la seule porte de sortie, c’est l’organisation d’élections.
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