ANALYSES

« Vu de Russie, les succès de politique étrangère de Macron sont très modestes »

Presse
24 mai 2018
Interview de Arnaud Dubien - Ouest France
Que vient faire Macron en Russie ?

Cette visite est la réponse de Vladimir Poutine à sa venue à Versailles, il y a un an. Emmanuel Macron vient discuter des grands problèmes de politique mondiale : l’Iran, la Syrie, l’Ukraine, le terrorisme… Il vient aussi essayer d’améliorer la relation bilatérale sur le plan politique, mais également économique.

Il y a un an, le président français avait évoqué les sujets qui fâchent sans détour. Peut-il encore se permettre un tel ton ?

Il ne reçoit pas, il est reçu : nuance essentielle en diplomatie. On ne se permet pas les mêmes choses. Emmanuel Macron dira ce qu’il a à dire à Vladimir Poutine, mais d’une façon sans doute moins abrupte qu’à Versailles. Dans ce genre de rencontre, l’essentiel se dit en coulisses, loin des micros. Les Russes y tiennent particulièrement.

Quelles relations entretiennent les deux dirigeants ?

On personnalise à l’excès la diplomatie. Les hommes comptent ; leur sensibilité et leurs tropismes pèsent. Mais à travers Emmanuel Macron, c’est avant tout la France que voit Vladimir Poutine. Une grande puissance mondiale, nucléaire, qui a su développer une politique étrangère indépendante, y compris pendant et après la Guerre froide.

Comment les Russes perçoivent-ils le président français ?

Comme un jeune leader ambitieux, qui essaie de reprendre le leadership du monde occidental, en tout cas de l’Europe. Mais Moscou ne cache pas ses doutes sur sa capacité à le faire, même dans un contexte d’affaiblissement relatif de la chancelière Angela Merkel.

Avec les États-Unis et même avec l’Allemagne, les succès de politique étrangère de Macron sont pour l’instant très modestes. Pour ne pas dire inexistants, vu de Russie.

La France ne brille-t-elle plus à Moscou ?

Les Russes la considèrent comme une puissance déclinante, qui joue un peu au-dessus de sa catégorie. Historiquement, la France était considérée comme la puissance politique dominante en Europe ; l’Allemagne étant l’interlocuteur économique privilégié. On voit un glissement majeur ces dernières années : pour Moscou, mais pas seulement, le leader européen, politique et économique, c’est l’Allemagne.

Les excès de Trump profitent-ils à Poutine ?

Sur l’Iran, Israël, le climat… Censé être l’allié principal des Européens, Trump est perçu comme allant trop loin. Paradoxalement, Poutine apparaît comme un dirigeant plus prévisible et raisonnable que le dirigeant américain. Il sait qu’il a une carte à jouer. Cela ne veut pas dire qu’il faille s’attendre à un grand chamboulement des relations internationales… Il reste beaucoup de contentieux à régler.

Sur l’Iran, Moscou et Paris sont d’accord. Ou presque ?

Les deux pays souhaitent que l’Iran reste une puissance non nucléaire. Mais la France estime que la meilleure chance de sauver l’accord, c’est de l’élargir, alors que les Russes ont une vision plus conservatrice. La France est d’ailleurs la seule à penser à un tel scénario…

Le désaccord est plus profond sur la Syrie…

C’est le dossier qui a le plus empoisonné les relations bilatérales franco-russes sous la présidence Hollande. Plus encore que l’Ukraine. Depuis le début du conflit, les positions de Paris et de Moscou sont à l’opposé. Mais la France a mis de l’eau dans son vin ces derniers mois. Elle prend acte du fait qu’elle n’a plus beaucoup de leviers sur le terrain… au-delà de quelques frappes, qui ont d’ailleurs été négociées avec les Russes, début avril.

Les Russes ont donc la main ?

Ils essaient des choses. Depuis la visite de l’Israélien Benjamin Netanyahu, le 9 mai, ils tentent de convaincre les Iraniens et le Hezbollah de quitter les zones frontalières d’Israël. Une autre visite, ou plutôt une convocation, a aussi pesé : celle de Bachar al-Assad à Sotchi, la semaine dernière, pour lui dire de commencer à penser très sérieusement à l’amorce d’un processus politique.

Poutine a su rendre la Russie incontournable…

Oui. Maintenant, son défi, c’est de montrer que la Russie peut également être utile au règlement des grandes crises et pas seulement être incontournable, avec un pouvoir de nuisance.

Mais rien n’est réglé en Ukraine !

Ce dossier ne bougera pas dans les dix-huit mois qui viennent, du fait des élections présidentielle et législatives de l’an prochain. De toute façon, personne ne croit, dans les chancelleries occidentales, que la Crimée puisse un jour revenir à l’Ukraine. Évidemment, ce ne sera jamais admis et l’annexion ne sera jamais reconnue légalement…

Quid des soupçons d’ingérences russes ?

Parmi les contentieux russo-occidentaux, il y a l’ingérence présumée dans les élections américaines ; il y a aussi les activités russes, au sens large, dans le cyberespace. Sans parler de l’affaire de l’ex-espion russe Sergeï Skripal (empoisonné début mars au Royaume-Uni). Les Russes ont été étonnés de voir la France valider les accusations britanniques de façon très ferme… Mais avant même cette affaire, des expulsions croisées d’agents de renseignement avaient déjà eu lieu, sans faire de bruit.

Pas de quoi empêcher de faire des affaires ?

Les intérêts français en Russie sont beaucoup importants que les intérêts français en Iran ! Mais les entreprises préfèrent rester discrètes car la Russie n’a pas très bonne presse…
 La France est le premier pays en termes d’investissements directs en Russie. Et reste le premier employeur étranger, avec près de 180 000 employés. Trente-cinq entreprises du Cac 40 sont implantées dans le pays. Mais toutes souffrent des sanctions et ont le sentiment de ne pas être soutenues par leur gouvernement.
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