ANALYSES

« La priorité : relancer un processus de négociation »

Presse
16 avril 2018
Interview de Didier Billion - L'humanité
L’opération militaire de samedi était-elle légale du point de vue du droit international ?

Non. La seule légalité que l’on puisse reconnaître est celle qui aurait été fournie par un vote du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU). Il n’en a rien été. La réalité s’inscrit en faux contre les affirmations du ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, sur la « légitimité » de l’opération. Il n’y a pas eu de vote au Conseil de sécurité, mais décision de trois États – les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne –, sans qu’on sache très bien au nom de quoi. L’opération est une manière de se donner bonne conscience à peu de frais. Où est cette légalité internationale à la frontière israélienne ou à Sanaa et Aden au Yémen ? On observe une politique du « deux poids, deux mesures ». Les tenants de ces interventions militaires ont une grande capacité à fermer les yeux sur d’autres conflits à travers le monde.

Qui doit mener l’enquête sur l’attaque chimique présumée du 7 avril dernier à Douma ?

L’Organisation internationale sur l’armement chimique (OIAC), qui agit sur mandat de l’ONU. Il est étonnant que, après une semaine de tergiversations pour savoir où frapper, c’est le jour où la délégation de l’OIAC devait arriver en Syrie qu’adviennent ces bombardements. Qu’il y ait eu utilisation d’armes chimiques est, à mon avis, incontestable. En revanche, il demeure encore une incertitude sur son origine. Je n’ai aucun atome crochu avec ce régime, mais j’attends d’avoir les preuves. Et pour les avoir, il faut une commission d’enquête mandatée par l’ONU.

Quels étaient, selon vous, les objectifs poursuivis avec leurs frappes par les trois puissances ?

Leur principal objectif est politique. Cette opération est le moyen pour les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne de se réinsérer dans le jeu politique et diplomatique. On a compris que, militairement, le régime de Bachar Al Assad a gagné. C’est maintenant plus que jamais que la phase politique doit se renforcer, s’accélérer et se densifier.
On nous présente l’alternative comme étant soit une opération militaire sans légalité internationale, soit ne rien faire. La véritable alternative est plutôt entre ne rien faire et une solution politique. Jean-Yves Le Drian, Emmanuel Macron, Theresa May et Donald Trump devraient déployer leur temps et leur énergie à discuter avec les autres forces en présence : la Turquie, l’Iran et la Russie, qui détient pour le moment les meilleures cartes de résolution de ce conflit. J’ai conscience que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais la priorité, aujourd’hui, est de relancer un processus de négociation digne de ce nom.

L’attaque ne va-t-elle pas mettre encore davantage sur le banc de touche l’ONU et les auteurs des attaques ?

Le calcul n’était pas bon. On a vu, samedi, le régime syrien dire : « Nous continuerons le combat. » Mais il s’agit de rhétorique. Au-delà des victoires militaires, Bachar Al Assad est affaibli politiquement, économiquement, socialement. Les Russes connaissent de véritables difficultés à l’amener à la table des négociations. Un règlement du conflit peut s’appuyer sur la résolution 2254, adoptée en décembre 2015, qui vise à instaurer un dialogue inclusif entre toutes les parties au conflit – hormis les groupes terroristes. Le texte invitait à la mise en place sous six mois d’un gouvernement transitoire et à la rédaction d’une nouvelle constitution en vue de la convocation d’élections législatives. Le sort de Bachar Al Assad n’était pas présent dans le texte, ce qui a donné lieu à des interprétations contradictoires. Il faut arrêter de faire de son départ un préalable à l’ouverture de négociations. Son sort doit se régler à l’issue du processus.
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