ANALYSES

La mort de Philippe Hugon, spécialiste de l’économie du développement

Presse
25 avril 2018
Professeur, écrivain, conférencier, Philippe Hugon, mort le 20 avril à Versailles, avait toutes les références académiques, mais aussi la légitimité de l’homme de terrain. Il est l’auteur d’une centaine d’articles dans des revues spécialisées et de plus de quinze ouvrages sur le développement, l’Afrique et l’économie politique internationale.

A l’université Paris-Nanterre, où il a exercé son magistère intellectuel sur deux générations d’étudiants et de chercheurs, Philippe Hugon, né le 5 mai 1939 à Paris, a été au cœur d’une importante production scientifique : sur la petite économie marchande, le fonctionnement des filières agricoles, l’économie de l’éducation, la régionalisation des économies, le financement du développement ou encore la mondialisation. C’était un enseignant-chercheur toujours disponible pour ses collègues et ses étudiants, ayant encadré un nombre incalculable de mémoires de masters et de thèses.

Comme happé par l’Afrique

Dans son autobiographie publiée en 2013 (Mémoires solidaires et solitaires, Karthala), Philippe Hugon montre, parfois de façon intime, comment s’est construit sa conscience politique, allant d’une éducation bourgeoise et chrétienne, à un engagement tiers-mondiste, puis à une posture plus académique de sage que l’on consulte. Une riche trajectoire fidèle à l’influence de quelques maîtres à penser parmi lesquels on reconnaît Albert Camus, Paul Ricœur, Georges Balandier, Emmanuel Mounier, le père Lebret, Albert Hirschman, Amartya Sen, Stéphane Hessel.

Agrégé en sciences économiques, fondateur du Centre de recherche en économie du développement (Cered-université Paris-Nanterre), cofondateur du Groupement pour l’étude de la mondialisation et du développement, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales stratégiques (IRIS), entre autres fonctions, Philippe Hugon a été comme happé par l’Afrique dès son affectation, comme enseignant au Cameroun (1963-1965), puis à Madagascar (1969-1974).

Il a participé à la grande aventure de la décolonisation. Il affirmait autant ses convictions que sa démarche : « Comme économiste, je pense qu’il faut, pour comprendre le développement, partir d’un socle et de faits stylisés pour une mise en cohérence et quantification minimale. Mais cette démarche doit, pour saisir la complexité du terrain, prendre en compte les trajectoires historiques, la manière dont les hommes agissent au sein de rapports sociaux, de systèmes de représentation et de référents culturels et quel sens ils donnent à ce développement. »

Scientifique engagé

A cet égard, il est un économiste du développement considérant que la spécificité des pays les moins avancés nécessite de prendre en compte leur histoire, leurs vulnérabilités ; il s’impose donc d’avoir une approche nécessairement pluridisciplinaire qui n’entre pas dans les logiques de l’analyse économique orthodoxe où les seules coordinations par le marché ne peuvent donner de l’intelligence aux faits.

L’Homo œconomicus ne peut-être la grille d’analyse de l’Afrique. Sa conception est portée par une prise en compte de la « dimension sociale et culturelle du développement », considérant la pauvreté comme la résultante moins d’une inégalité de revenus que d’une inégalité dans l’accès aux capacités, aux actifs et aux droits qui déterminent les conditions d’existence et l’insertion sociale, et donc proposant de traiter les obstacles au développement autant dans leurs dimensions institutionnelles, culturelles, économiques que géopolitiques

Il était convaincu qu’il existe une voie qui affirme le besoin d’Etat tout en recherchant la collaboration et le partage des rôles avec les autres acteurs tels le secteur privé ou les organisations de la société civile. Ses travaux publiés plus récemment sur la géopolitique de l’Afrique éclairent la complexité des situations en particulier celle de la région sahélienne.

Son dernier ouvrage, Afriques, entre puissance et vulnérabilité (Armand Colin, 2016) est une synthèse de référence qui donne au lecteur les clés pour comprendre les futurs possibles de l’Afrique et notamment que l’émergence ne peut être abordée comme reproduction à l’identique des trajectoires empruntées par les pays actuellement dits développés.

C’est un scientifique engagé dans l’économie politique du développement qui nous quitte. Son rayonnement intellectuel et son œuvre resteront.

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Philippe Hugon en neuf dates

5 mai 1939 Naissance à Paris

1969 Enseignant chercheur à l’université de Tananarive (Madagascar)

1970 Professeur agrégé d’économie

1974 Professeur d’économie à l’université Paris-Nanterre

2002 « Les Economies en développement à l’heure de la régionalisation » (Karthala)

2005 Directeur de recherche à l’IRIS

2013 « L’Economie de l’Afrique » (7e édition, La Découverte)

2016 « Afriques, entre puissance et vulnérabilité » (Armand Colin)

20 avril 2018 Mort à Versailles

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Article co-écrit avec Jean-Jacques Gabas (CIRAD, Sciences Po Paris)
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