ANALYSES

Qui est à l’origine de la rencontre entre les deux Corées qui pourrait aboutir à une déclaration de paix ?

Presse
27 avril 2018
Les deux dirigeants Moon Jae-in et Kim Jong-un se réuniront ce vendredi 27 avril sur la ligne de démarcation qui divise la péninsule coréenne depuis 65 ans, en vue d’un accord entre les deux pays. Après des décennies de blocage, comment interpréter les différents événements qui ont pu amener à un tel rapprochement ? De de la diplomatie des Jeux Olympiques entre les deux pays, aux menaces de Donald Trump, à l’intervention chinoise, et jusqu’à la destruction du site de tests nucléaires nord coréen, qu’est ce qui a véritablement conduit les deux pays à se retrouver ?

Jean-Vincent Brisset : On peut ajouter un petit détail qui a son importance : la rencontre entre les deux dirigeants coréens aura lieu non pas dans le préfabriqué posée à cheval sur le tracé de la frontière et servant habituellement aux rencontres de la commission d’armistice, mais dans un bâtiment situé quelques mètres plus loin, en territoire sud-coréen. Alors que les deux précédentes rencontres entre dirigeants des deux pays avaient eu lieu en Corée du Nord. Le symbole est certes mince, mais c’est un grand pas pour Kim.

On a beaucoup parlé de la « diplomatie des Jeux Olympiques », et on l’a souvent présentée, dans certains médias, comme une grande nouveauté. C’est oublier que, dans les faits, les deux pays avaient déjà défilé ensemble à Sydney (2000), Athènes (2004) et Turin (2006). En 2018, la Corée du Nord répondait à une invitation du Sud sur le territoire duquel se déroulent les Jeux. Difficile de refuser. Mais cette invitation aura permis à des personnalités proches des pouvoirs de se rencontrer plus longuement et en l’absence de pression médiatique, préparant ainsi la suite.
Les menaces de Trump, dans leur exagération, ont sans doute eu beaucoup d’effet. C’est un langage beaucoup plus compréhensible par Kim que la valse-hésitation d’un Obama passant de la patience stratégique au pivot. Ces menaces étaient aussi, vues de Pyongyang, très crédibles. Mais ce sont surtout les interventions chinoises qui semblent avoir été décisives. La Corée du Nord n’est pas viable sans l’aide de son voisin pékinois, car elle n’a pas de ressources autonomes dans certains domaines vitaux, dont le pétrole. Pékin avait accepté et voté le principe de sanctions beaucoup plus lourdes que par le passé. Si elles étaient mises en œuvre, la fragile reprise de l’économie du Royaume Ermite, qui est le plus grand succès de Kim, aurait été mise à mal, et, avec elle, la légitimité nationale du Grand Leader. La destruction du site de tests nucléaires nord-coréen, qui reste encore à évaluer, semble n’être qu’un épiphénomène, même si elle arrive à point.

Si les interventions chinoises sont très largement le résultat des dialogues entre Washington et Pékin, il ne faut cependant pas minimiser la très forte volonté de Séoul. On a dit que le nouveau Président allait prendre ses distances vis-à-vis des Etats Unis, en particulier sur le plan militaire. Les faits ont prouvé que, au contraire, la Corée du Sud a accepté le déploiement de missiles anti-missiles US sur son territoire. Elle développe même des moyens de frappe préemptive spécifiquement étudiées pour éventuellement détruire les installations fortifiées d’artillerie du Nord. Mais le Président Moon veut aussi demeurer un acteur majeur de la gestion politique de l’avenir de la péninsule. Tout d’abord, parce sa volonté d’éclairer et de pacifier l’avenir est indéniable. L’unification n’est plus un but incontournable, trop de temps a passé et la Chine s’y oppose. Par contre, la conclusion d’un vrai traité de paix permettrait aux deux parties de sortir d’une posture militaire couteuse et étouffante. Mais Moon veut aussi rester -ou revenir- au premier plan dans la gestion d’un bras de fer qui concerne au premier chef son pays, sans laisser Pékin et surtout Washington décider à sa place. Même si, quoique l’on pense du personnage, il n’est pas possible de ne pas reconnaître que celui qui a fait bouger les lignes est bien Trump.

Mike Pompéo, alors encore tête de la CIA, a pu se rendre secrètement en Corée du Nord, avant sa nomination à la tête de la diplomatie américaine. De cette rencontre à celle ayant eu lieu entre Kim Jong-un et Xi Jinpiing, quelle a été la plus importante dans la voie du rapprochement ?

La rencontre entre Pompeo et les dirigeants nord-coréens n’a finalement été un secret que pendant quelques heures. Par contre, ses vrais résultats sont restés tout à fait secrets. Il semble qu’il s’agit d’une mission « de sherpa ». Une personne ayant toute la confiance de son patron, Donald Trump dans le cas présent, se rend auprès d’un futur interlocuteur pour préparer la rencontre et définir les points sur lesquels un accord est possible. Etant donné le niveau de l’envoyé du POTUS, il est probable que celui-ci était accompagné d’autres personnes chargées de préparer les détails pratiques de la rencontre, qui auront aussi une grande importance.

Il ne faut pas oublier que Kim joue, dans cette affaire, sa légitimité auprès de son propre peuple et donc son maintien au pouvoir.

La rencontre avec Xi Jinping relève, probablement, d’un tout autre registre. Elle apparaît en effet bien davantage comme une convocation du trublion nord-coréen par le grand frère chinois. Celui-ci voulait expliquer clairement quelles étaient les nouvelles règles du jeu et fixer les limites des concessions, accords et désaccords que pouvait négocier Kim tant avec Moon qu’avec Trump.

Comment anticiper la future rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un ? Quelles sont les chances de succès de la « dénucléarisation » évoquée ? Quelle solution peut paraître aujourd’hui comme la plus vraisemblable au regard des rapports de force actuels ?

La rencontre entre deux personnages aussi peu conformes aux canons imposés par les tenants d’une gestion policée des relations internationales devrait apporter, au moins au niveau des images, son lot de surprises. On se souviendra de l’étonnante proximité de Madeleine Albright et de Kim Jong il lors de la visite de la Secrétaire d’Etat à Pyongyang.

Il est toutefois peu probable que la rencontre soit suivie de l’annonce d’une dénucléarisation à court terme. Encore une fois, il ne faut pas oublier que les actes publics de Kim Jong Un, comme ceux de ses prédécesseurs, sont avant tout destinés à lui assurer, vis-à-vis de sa propre population, la légitimité indispensable à son maintien au pouvoir. L’annonce, ou plutôt la confirmation d’une annonce déjà plus ou moins faite, sur un moratoire et un arrêt des expérimentations nucléaires et balistiques permettrait aux deux interlocuteurs une sortie « par le haut ». Les essais ne sont d’ailleurs plus vraiment nécessaires, les derniers ayant donné, au moins aux yeux du grand public, la crédibilité nécessaire aux armes de Pyongyang. On pourrait ainsi éviter de parler de démantèlement d’éventuels existants. Les Etats Unis pourraient même offrir une aide en matière de lancement spatiaux. Il est tout aussi probable que, si les termes du moratoire sont satisfaisants, Trump y ajoute une aide économique et une demande de levée des sanctions décidées au niveau de l’ONU. Ceci dans le cas le plus favorable. Car, étant donné le tour très personnel que prendra sans doute cette rencontre, un échec, éventuellement même un échec brutal, reste toujours possible.
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