ANALYSES

Trump sur la Syrie : rhétorique guerrière et absence de plan

Presse
16 avril 2018
« Mission accomplie ». En concluant, par cette formule, un tweet d’auto-satisfaction sur l’intervention militaire de Paris, Washington et Londres en Syrie dans la nuit du 13 au 14 avril, le président américain a-t-il conscience qu’elle fait référence au fiasco irakien de 2003 ? George W. Bush avait en effet utilisé les mêmes mots pour décrire une situation qui, sur le terrain, n’allait qu’empirer. On pourrait croire que Trump a choisi la ligne néoconservatrice. Il n’en est rien – pour l’heure. Le général James Mattis a freiné les aspirations guerrières du président. Pour le secrétaire à la Défense, il ne faut rien voir d’autre qu’un bombardement d’usines d’armes chimiques syriennes. Mais pour quelle stratégie ?

Mattis a réussi à temporiser. Il est l’un des derniers « modérés » qui restent dans l’entourage militaire de Trump, après le remplacement de Rex Tillerson par Mike Pompeo au département d’État, et du général Mc Master par John Bolton au poste de conseiller à la sécurité nationale. Ce week-end, Mattis a rappelé que c’est le régime syrien, et non pas les autorités russes, qui était visé, affaiblissant ainsi les critiques ouvertes du président, teintées de surenchère émotionnelle, à l’encontre de la Russie et de l’Iran après les frappes, ainsi que son tweet de la semaine dernière vantant l’efficacité des missiles américains et mettant en garde Vladimir Poutine.

C’est un tour de force du secrétaire à la Défense, étant donné que le président est particulièrement énervé contre l’ancien directeur du FBI, James Comey, qu’il avait limogé et qui le compare, dans son livre sorti ces derniers jours, à un chef mafieux. Trump a donc besoin, comme toujours en pareil cas, de faire diversion. Néanmoins, Mattis semble pour l’heure dans l’incapacité de proposer une stratégie de moyen terme en Syrie. De son côté, ayant fait campagne sur la non-intervention militaire, soucieux de ne pas s’embourber dans une guerre qui serait nécessairement impopulaire, à sept mois des élections de mi-mandat, Trump se raccroche à ce qu’il n’a cessé de faire depuis son entrée en fonction : le raisonnement et la communication court-termistes. Pour lui, cette opération militaire ponctuelle, menée avec la France et le Royaume-Uni, est aussi un moyen de montrer sa force face à l’Iran, alors qu’il pourrait dans moins d’un mois remettre en cause la position de son pays dans l’accord sur le nucléaire civil iranien, mais aussi face à Kim Jung-un qu’il est censé rencontrer d’ici juin.

CONTINUER LA GUERRE OU SE RETIRER ? DES ASPIRATIONS CONTRADICTOIRES

En politique, les obsessions peuvent être empoisonnées. Celle que Trump nourrit à l’égard de son prédécesseur en est une. La fameuse « ligne rouge », celle des armes chimiques, a été rappelée par Nikki Haley, ambassadrice des États-Unis à l’ONU, à dessein : Obama, le « président faible » selon les républicains, avait employé l’expression mais n’avait rien fait pour arrêter les massacres d’Assad contre son peuple.

Trump doit-il poursuivre le conflit au risque de l’enlisement et de l’impopularité, ou bien apparaître lui-même faible ? Les « faucons » de Washington, comme John Bolton ou le sénateur Lindsey Graham, poussent pour des attaques contre Assad. Mais pour l’heure, le message envoyé à ce dernier est que, tant que des armes chimiques ne sont pas utilisées, les États-Unis ne feront rien en Syrie, ce qui, d’une part, a peu de risques d’impressionner Assad et Poutine et qui, d’autre part, ne manque pas de décevoir Israël et l’Arabie saoudite qui espéraient une action forte de leur allié américain contre la présence militaire iranienne sur le terrain syrien. Certains, comme le sénateur républicain John McCain, demandent cependant au président de prendre du champ et de penser une stratégie plus globale pour les États-Unis dans la région, face à l’influence russe et iranienne.

Sans parler des civils syriens pour qui rien n’est prévu, d’autant que Trump a ajouté que, pour lui, la guerre contre Daech avait été gagnée et qu’il entend toujours retirer 2000 hommes de Syrie effectuant des missions humanitaires. À gauche, certaines critiques affirment également que si les motivations de Trump, avec ces bombardements, étaient réellement humanitaires, il reverrait sa politique d’accueil des réfugiés syriens. Mais, comme le dit le New York Times, Trump sépare la question syrienne en deux cases distinctes : la lutte contre Daech – sur le point d’aboutir, selon lui -, et la guerre civile à laquelle il ne veut pas prendre part… à l’instar de son prédécesseur.

L’ÉPISODE DU 13 AVRIL N’EFFACE PAS L’ISOLEMENT DES ÉTATS-UNIS

Il y a exactement un an, Trump bombardait déjà des usines militaires syriennes, après qu’Assad avait gazé son peuple. Cette fois, il a été rejoint par le Royaume-Uni et la France, ce qui, en rompant momentanément et sur un sujet très précis l’isolement qui est le sien sur la scène internationale, a donné au président américain une crédibilité.

À l’ONU, le 14 avril, la France a néanmoins fait savoir qu’elle souhaitait mettre en place, avec ses alliés britannique et américain, un plan concerté pour la Syrie. Les bombardements de vendredi constituent en effet, pour la diplomatie française, « un signal de fermeté » mais qui « n’a de sens que dans le cadre d’une stratégie politique. » Cela passerait par des enquêtes indépendantes sur l’usage d’armes chimiques en Syrie, et cela ne manquera pas d’occasionner des discussions houleuses, avec la Russie notamment, or Paris estime incontournable de relancer les négociations avec Moscou.

Le but de la France et du Royaume-Uni est aussi, selon le Washington Post, de montrer à Trump qu’il ne peut décidément agir seul, et d’avoir une influence sur sa prochaine décision sur le nucléaire iranien. Cela fait partie de leur stratégie de long terme – même si ce n’est pas la seule motivation de l’attaque de la nuit du 13 avril. Les présidents français et américain parleront sans doute de l’Iran et de la Syrie lors de la visite officielle d’Emmanuel Macron à Washington dans quelques jours. On en revient alors à la problématique posée au début de cet article : celle de l’influence de l’entourage de Trump. Si la ligne Mattis l’a emporté cette fois, qu’en sera-t-il concernant l’Iran, les ultras comme Bolton et Pompeo, qui viennent de prendre leurs fonctions, n’ayant certainement pas dit leur dernier mot.
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