ANALYSES

Syrie : face à l’emballement entre États-Unis et Russie, quelle place pour la crédibilité occidentale… et pour la France ?

Presse
12 avril 2018
Interview de Thierry Coville - Atlantico
Dans un contexte géopolitique marqué par la probable riposte des Etats-Unis, de la France et du Royaume Uni, ou encore de l’Arabie saoudite aux attaques menées par le régime syrien, comment articuler une réponse qui permettrait aux occidentaux de se positionner ? Face à ce qui ressemble à un spectre de mauvaises solutions, comment l’Occident peut-il agir ?

Il me semble que le « narratif » proposé par le Président Français est le plus adapté au contexte. Les autorités françaises, du fait de la Convention internationale sur l’interdiction des armes chimiques de 1993, et des avertissements passés donnés au gouvernement syrien sur les conséquences de l’utilisation de telles armes, veulent agir pour « punir » Bachar El Assad. L’objectif est clair, c’est de donner une légitimité internationale à une possible action militaire. Néanmoins, on voit tout de suite les failles d’une telle stratégie

1) Pratiquement, cette stratégie revient à frapper militairement un pays détruit par une guerre civile qui dure depuis 7 ans et a fait des centaines de milliers de morts. Quel est dans ce contexte le sens d’une telle intervention, surtout s’il y a un risque de tuer des civils.

2) Agir de concert avec les Etats-Unis dans ce cadre est à mon avis un très mauvais message envoyé par la France dans la région. La politique américaine depuis l’élection de Trump a plutôt consisté à faire monter les tensions dans tous les conflits présents (Israël et palestiniens, Iran et Arabie Saoudite) en prenant partie pour un des deux camps de manière extrême. Une frappe militaire commune de la France, des Etats-Unis et du Royaume-Uni en Syrie pourrait faire perdre de la légitimité à justement ce qui recommençait à faire la force de la position française depuis l’élection d’Emmanuel Macron, vouloir apparaître comme un pays indépendant qui parle à tout le monde et qui a donc la capacité de faire diminuer les tensions. En Iran, par exemple, une telle intervention française va évidemment être récupérée par les « durs » sur l’air de « on vous l’avait bien dit », la France est un « supplétif » des Etats-Unis.

3) La communication des autorités françaises sur le lien entre utilisation des armes chimiques et action punitive ne peut pas cacher le manque de légitimité d’une telle action. De quel droit, ces trois pays occidentaux décident à la fois d’être juges et appliquant des peines dans ce domaine ? Est-ce qu’il ne serait plus plus rationnel de faire d’abord tous les efforts nécessaires pour qu’une enquête soit effectuée par un organisme complètement indépendant ? la question classique de « qui garde les gardiens ? » est de nouveau posée ici. Qui garantit que ces trois pays sont les plus légitimes pour faire respecter la Convention internationale sur l’interdiction des armes chimiques de 1993 ? On peut rappeler quand même que les gouvernements américain et français n’ont pas dit un mot dans les années 1980 quand Saddam Hussein, leur allié à l’époque dans la guerre Irak-Iran a procédé à des centaines d’attaques chimiques contre l’armée iranienne …

En quoi le déroulé de cette crise peut-il ressembler à une forme d’épreuve de vérité pour les occidentaux, après les précédents de 2013 en Syrie, de 2014 en Ukraine, ou relativement aux dernières attaques chimiques de 2017 et de ce début d’année 2018 ? Quelle place pour l’Occident dans un tel contexte ?

Il me semble que le Moyen-Orient a surtout besoin de paix et de stabilité. Je pense que la meilleure politique est d’agir pour diminuer les tensions et donc d’éviter de « rajouter la guerre à la guerre » et même d’en initier comme en Irak en 2003.

Comment anticiper les réactions, en fonction de l’ampleur des opérations menées -et si celles-ci ont lieu – des principaux protagonistes que sont la Syrie, l’Iran, et la Russie ?

En ce qui concerne l’Iran, il faut voir dans quel contexte interviendrait une telle opération militaire occidentale. Plusieurs militaires iraniens viennent d’être tués dans le récent bombardement en Syrie mené par Israël. Les autorités iraniennes font face à un front « Etats-Unis – Arabie Saoudite – Israël » qui accuse l’Iran d’être la source de tous les problèmes du Moyen-Orient. La politique américaine, si confuse par ailleurs, a au moins une ligne claire, surtout depuis les nominations de Mike Pompéo au secrétariat d’Etat et de John Bolton, à la tête du Conseil de National de Sécurité, c’est de vouloir un changement de régime en Iran. Il est donc évident que toute action militaire occidentale en Syrie touchant les forces iraniennes en Syrie renforcerait la position des durs en Iran qui refusent tout compromis et renforcerait les tensions entre l’Iran et l’occident en Syrie et dans la région.
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