ANALYSES

Les enjeux de l’énergie en Méditerranée

Presse
1 mars 2018
La Méditerranée orientale, une nouvelle « province gazière »

Carrefour de trois continents, fragile sur le plan environnemental, le bassin méditerranéen est aussi une région source d’énergies, qu’il s’agisse des énergies renouvelables , comme celles du vent ou du soleil, ou des énergies fossiles présentes dans son sous-sol. Francis Perrin, expert géopolitique, analyse ici les conséquences des exploitations de gaz naturel en cours ou en préparation dans la partie orientale de la Méditerranée.

La découverte de gisements gaziers en Méditerranée orientale a fait de cette zone de contact entre civilisations millénaires, soumise depuis toujours à des tensions politiques fortes, une nouvelle région énergétique du monde, aux portes de l’Europe, de l’Afrique et du Moyen-Orient.

L’exploitation du gaz naturel a commencé au large de l’Égypte, puis d’Israël plus récemment ; deux gisements ont été découverts au large de la République de Chypre ainsi qu’un autre au large de Gaza ; des travaux d’exploration vont être lancés sur deux blocs au large du Liban où le potentiel paraît intéressant. Ainsi émerge, dans ce bassin du Levant, une nouvelle « province gazière », c’est-à-dire une zone contenant d’importantes réserves prouvées et qui a vocation à approvisionner les marchés internationaux. Sera-t-elle un foyer de nouvelles tensions ou au contraire un facteur de coopération et de paix ? Les deux à la fois sans doute…

La thèse pessimiste ne peut être écartée : la guerre en Syrie, le conflit israélo-palestinien, la pomme de discorde chypriote entre la Turquie et la Grèce, les tensions entre Israël et le Liban empoisonnent déjà une atmosphère qui pourrait être alourdie par l’odeur du gaz. Mais ce risque politique évident n’a pas bloqué jusqu’à présent le nouveau développement économique. Car les États ont un intérêt commun à valoriser ce gaz. S’ils ne le font pas, ils seront tous perdants.

L’Égypte, qui était encore au début de cette décennie un pays exportateur net de gaz, a besoin des ressources de son gisement géant de Zohr pour satisfaire sa consommation intérieure. Israël a besoin d’accroître son autonomie énergétique grâce à ses champs de Léviathan et Tamar. Le Liban a besoin de financer sa reconstruction. Chypre, membre de l’Union Européenne (UE), peut, avec son champ prometteur Aphrodite, jouer un rôle dans la politique d’ »union de l’énergie » que poursuit la Commission européenne pour réduire la dépendance de l’Europe envers la Russie.

Ces aspirations convergent vers des coopérations naissantes. Elles sont perceptibles dans le projet de gazoduc Israël-Chypre-Grèce-Italie qui est en négociation et auquel l’UE pourrait participer financièrement. Autre exemple, l’Égypte, dans l’attente de la montée en puissance de Zohr et d’autres projets, a signé deux contrats avec Israël pour importer du gaz et négocie avec Chypre.

Le rôle de la Russie et de la Turquie

En plus de l’UE et des incontournables États-Unis, deux grandes puissances suivent les événements avec attention.

La Russie, principal fournisseur de l’Europe, peut s’inquiéter d’une concurrence nouvelle. Mais la stratégie de Gazprom, sa grande société énergétique publique, est d’essayer de s’assurer un degré de contrôle des projets dans la zone en y prenant des participations. Dans le cas de Zohr, le gisement égyptien qui est entré en production en décembre 2017, la société pétrolière russe Rosneft a pris 30 % dans un consortium aux côtés du groupe italien ENI (60 %) et du groupe BP (10 %).

La Turquie sait qu’elle occupe une position géographique clé. Son potentiel en gaz offshore apparaît plus limité mais elle est à la croisée d’un vaste réseau de gazoducs en fonctionnement ou en projet. Il y a le Turkish Stream (ou Turkstream) que la Russie souhaite substituer au gazoduc direct initialement prévu vers l’Europe du Sud. L’autre gazoduc qui apportera en Europe le gaz de la mer Caspienne via l’Azerbaïdjan et la Géorgie transitera aussi par la Turquie. Il y a aussi les perspectives de pipelines à partir de l’Iran ou de l’Irak quand ces pays auront pris pied sur les marchés internationaux. Outre les gazoducs, il y a un autre moyen pour transporter le gaz : c’est le recours au gaz liquéfié (GNL ) que les méthaniers peuvent transporter de façon très flexible d’un point à un autre, sans les contraintes d’un lien fixe.

Enfin, n’oublions pas les deux autres grands producteurs méditerranéens d’hydrocarbures , que sont l’Algérie et la Libye. La Libye – qui est un pays davantage pétrolier que gazier – a pour priorité immédiate d’accroître sa production et ses exportations de pétrole dans un contexte politique et sécuritaire très instable. L’Algérie doit veiller – un peu comme l’Égypte – à ce que sa consommation intérieure – notamment électrique – en croissance très forte ne tarisse pas peu à peu ses capacités d’exportation de gaz. Elle a engagé dans ce but un important programme de développement des énergies renouvelables et n’exclut pas d’exploiter les ressources de gaz de schiste de son sous-sol saharien.
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