ANALYSES

Un président évangéliste au Costa Rica ? Fabricio Alvarado arrive en tête du premier tour des élections

Presse
8 février 2018
Les électeurs « ticos » ont voté dimanche 4 février 2018. Pour choisir leur président et leurs 57 députés. Un prédicateur évangéliste, Fabricio Alvarado, est arrivé en tête au soir du premier tour des présidentielles, à la surprise des observateurs [1]. Sera-t-il élu président le 1er avril prochain, au deuxième tour ? Les paris sont ouverts. Quoi qu’il en soit le résultat du premier tour, le maillot jaune obtenu par Fabricio Alvarado, constitue en soi le signe d’un changement d’époque, sans doute au Costa Rica, mais peut-être aussi en Amérique latine.

Voter pourtant n’a rien de bien extraordinaire dans ce petit pays d’Amérique centrale. Depuis 1948, date d’un conflit civil douloureux, le pays n’a jamais quitté les rails de la démocratie. Il a passé les années 1960-1980, particulièrement difficiles dans le reste de l’Amérique latine, sans dictateurs et sans guérilleros. Deux partis alternaient habituellement au pouvoir. Un parti de centre gauche, le PLN (Parti de libération nationale), et un parti de centre droit, le PSUC (Parti d’unité social chrétienne).

La machine binaire s’était quelque peu déréglée aux dernières élections avec l’accession au pouvoir d’un dissident du PLN. Mais Luis Guillermo Solís, c’est le nom du chef de l’État élu en 2014, et sa formation, le PAC, Parti d’Action Citoyenne, n’avaient rien de particulièrement discordant. Le pays s’était moulé sans trop de problèmes dans un tripartisme ouvert.

Crédité de 2 % des intentions de vote en début de campagne, Fabricio Alvarado est donc arrivé en tête au soir du premier tour. Et sa jeune formation, le PRN, Parti de Restauration Nationale, a multiplié sa représentation en sièges de députés, à l’image des pains de Jésus Christ [2]. Cette échappée inattendue a bousculé l’établissement politique. Et bien au-delà a révélé bien plus qu’un sondage : l’état d’âme des Costariciens. Considérés comme des ruraux tranquilles, gens de café, assidus à la messe du dimanche et au pèlerinage de la Vierge de Cartago.

Le début d’année avait été agité par deux évènements sociétaux : l’introduction de l’éducation sexuelle à l’école et, le 9 janvier 2018, un rappel à l’ordre de la Cour interaméricaine des droits de l’homme signalant sa préoccupation concernant le retard mis à reconnaître le mariage entre personnes de même sexe. Ces mesures n’avaient pas outre mesure modifié les priorités des candidats PAC, PLN, PSUC et autres. L’Église catholique avait bien signalé son désaccord et organisé une soirée débat à ce sujet.

Mais seul Fabricio Alvarado avait repris la balle au bond. Et recentré sa campagne sur la défense de la famille. La famille, a-t-il martelé tout au long du mois de janvier, c’est « un papa, une maman, et des enfants ». Le message a été reçu cinq sur cinq dans les campagnes et les bordures maritimes du pays. Ces cantons de tradition majoritaire PLN, et de façon plus marginale PSUC, ont massivement voté pour le candidat évangéliste.

A posteriori sondeurs et analystes ont signalé que ces régions ont basculé ces dernières décennies du catholicisme vers diverses obédiences évangélistes. Les comportements électoraux traditionnels ont résisté… jusqu’au 4 février 2018. C’est à cette date en effet que, pour la première fois, les adeptes de ces religions de la théologie de la prospérité ont pu mettre en concordance leurs croyances et leurs choix électoraux.

Au lendemain du vote, les acteurs économiques locaux, patronaux et syndicaux, les observateurs mandatés par l’OEA, ont appelé aux réalités de la conjoncture. Ne serait-il pas temps, ont-ils dits, pour les candidats du deuxième tour d’affronter les défis du pays réel, ceux donc de l’économie et du social ? La remarque est sans doute de bon sens. Mais elle reflète bien davantage la stupéfaction face à l’inconcevable. Quoi, le Costa-Rica aussi ? Oui, le Costa-Rica est l’ultime domino latino-américain atteint de mutation politique d’inspiration culturelle et religieuse pentecôtiste. Un pasteur préside le Guatemala. Un évêque de l’Église universelle du Royaume de Dieu a été porté à la mairie de Rio de Janeiro. Des dizaines de députés évangélistes ont fait leur entrée dans les parlements brésilien, guatémaltèque, péruvien et aujourd’hui costaricien. Le référendum sur les accords de paix en Colombie a été perdu par le président Santos en raison notamment de la mobilisation contraire des Églises évangélistes. Le pape François, qui venait au Chili et au Pérou porteur de messages sociaux, s’est vu rappeler à l’ordre éthique.

Les graines semées pendant la guerre froide pour des raisons géopolitiques par le président Reagan et le pape Jean-Paul II, priorisant le repli sur les valeurs individuelles et charismatiques pour réduire l’influence des théologies de la libération et de la Révolution cubaine, ont fleuri avec la globalisation. Arrivées à maturation, après avoir déplacé la religion catholique, elles prétendent aujourd’hui avec un succès certain occuper les palais présidentiels et les bancs des Assemblées parlementaires.

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[1] Résultats de la présidentielle : Fabricio Alvarado (PRN) : 24,91 % ; Carlos Alvarado (PAC) : 21,66 % ; Antonio Álvarez Desanti (PLN) : 18,6 % ; Rodolfo Piza (PUSC) : 16,9 % ; Juan Diego Castro (PIN) : 9,5 %.
[2] Le PRN est passé de 1 siège de députés à 14 (PLN : 17 ; PAC : 10 ; PUSC : 9 ; PIN : 4 ; PRSC : 2 ; FA : 1.
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