ANALYSES

Arabie Saoudite : les paris risqués de Mohammed ben Salmane

Presse
8 décembre 2017
Le 26 septembre 2017 restera une date historique en Arabie saoudite avec un décret royal autorisant les femmes à conduire à partir de juin 2018. Dans ce royaume ultra-conservateur, cette mesure prise par le roi Salmane représente une révolution. Mais, derrière le roi, c’est le prince hériter Mohammed ben Salmane, surnommé ‘’MBS », qui est en train de mener tambour battant des réformes qui transforment le royaume saoudien.

Si cette mesure sur le plan sociétal est la plus forte symboliquement, elle s’accompagne en parallèle d’une volonté de mise au pas des autorités religieuses du pays, qui a été historiquement fondé sur un pacte entre le sabre et le goupillon. Le prince héritier affirme vouloir désormais une ‘’Nouvelle Arabie » débarrassée de la gangrène de l’Islam radical. Afin que la communauté internationale n’associe plus Arabie saoudite et terrorisme islamiste, Riyad vient de relancer une grande coalition antiterroriste de 40 pays majoritairement sunnites, visant à éradiquer les groupes extrémistes jusqu’à leur ‘’disparition de la terre ».

La rhétorique est aussi enflammée que les chiffres de la ‘’Vision 2030 » sont cosmiques. La stratégie économique de l’Arabie saoudite est ambitieuse et le défi est immense. Si les chiffres annoncés sont parfois irréalistes, l’orientation est néanmoins la bonne. L’Arabie saoudite ne peut plus se contenter d’être un état rentier dépendant d’un cours du pétrole de plus en plus incertain et instable. L’Etat ne peut plus fournir des revenus à toute la population en ayant un secteur privé quasi inexistant. En dévoilant son projet NEOM, cette mégalopole du futur sur les bords de la mer Rouge, MBS s’est empressé de proclamer que ‘’seuls les rêveurs sont les bienvenus » dans cette ‘’Nouvelle Arabie ». Vision et communication font souvent bon ménage.

Le miroir aux alouettes saoudien

D’emblée, certains commentateurs ont été séduits par les annonces du prince héritier. Thomas Friedman, le célèbre éditorialiste du New York Times, s’est empressé de parler du ‘’printemps arabe » de l’Arabie saoudite, une appréciation très excessive car des évolutions sociétales ne constituent pas une libéralisation politique et celle-ci ne pointe pas du tout à l’horizon. Ces évolutions et les projets économiques majeurs du royaume, notamment la diversification de l’économie nationale et une petite ouverture du capital de la compagnie pétrolière et gazière nationale, Saudi Aramco, viennent du sommet et sont conduits d’une main de fer. Amnesty International soulignait à la fin octobre que le pays demeurait l’un des pires violateurs des droits de l’homme et qu’aucun progrès significatif n’avait été enregistré depuis l’ascension, apparemment irrésistible, de MBS.

L’opération anti-corruption lancée le 4 novembre 2017 illustre de façon éclatante la verticale du pouvoir en Arabie saoudite, à l’encontre des traditions d’un royaume où il était de bon ton de chercher le consensus entre les différents cercles de pouvoir. Enfermés dans le Ritz Carlton de Riyad, les princes, ministres, anciens ministres et hommes d’affaires mis en cause de façon très peu transparente ne peuvent sortir de cette prison dorée qu’à condition de signer un très gros chèque. Un montant global de l’ordre de 100 milliards de dollars a même été évoqué par le prince héritier lui-même… L’opération sera assurément très rentable mais elle illustre aussi les importantes tensions internes au royaume saoudien, qui pourraient être une source d’inquiétude pour les investisseurs.

Mais, au-delà des tensions internes, c’est surtout à l’extérieur que l’Arabie saoudite, avec une politique étrangère beaucoup plus offensive que par le passé, contribue à accroître les tensions dans la région. Enlisement au Yémen, blocus inefficace contre le Qatar, ingérence dans la politique libanaise, forte augmentation des tensions avec l’Iran… Cette radicalisation de l’Arabie saoudite sur la scène régionale inquiète une bonne partie de la communauté internationale et les investisseurs étrangers. Cette montée des tensions, dont l’Arabie saoudite n’est évidemment pas la seule responsable, peut également rendre plus difficile la réalisation des ambitions internes de MBS. La diversification de l’économie, un défi considérable, serait favorisée par un contexte régional plus apaisé.

La France doit continuer d’être une puissance d’équilibre

Alors que le président Macron se rend au Qatar, toujours sous embargo du ‘’Quartet » (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis, Bahrein et Egypte), la France doit continuer à ‘’parler avec tout le monde » dans une région où le dialogue est trop souvent absent. Alors que l’administration américaine est empêtrée dans ses contradictions internes, avec un président qui a tendance à jeter de l’huile sur le feu à coups de tweets intempestifs et un département d’Etat et un département de la Défense qui tentent tant bien que mal de limiter les dégâts, le président français doit encourager le multilatéralisme et une désescalade des tensions dans la région. Cette absence actuelle de leadership occidental au Moyen-Orient crée des opportunités pour la France et pour l’Union européenne si celles-ci ont la vision stratégique requise et la volonté politique de jouer un rôle significatif dans cette région clé, qui contrôle près de la moitié des réserves prouvées mondiales de pétrole et un peu plus de 40% des réserves gazières.

Il reste à voir si ces deux conditions seront réunies. Au regard de l’état de la région et de son importance internationale, on ne peut que vivement souhaiter que l’UE et la France soient à la hauteur des enjeux.
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