ANALYSES

Trump, Jérusalem et le droit international

Presse
7 décembre 2017
En dépit des multiples mises en garde à l’égard de l’embrasement régional que risquait de susciter une telle décision, le président Donald Trump vient de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.

Alors en pleine campagne présidentielle, Donald Trump avait déclaré que s’il était élu président des États-Unis, il reconnaîtrait Jérusalem comme la capitale d’Israël et transférerait l’ambassade américaine dans la Ville sainte : « je le ferai (…) plutôt rapidement », avait-il même précisé dans une interview à CNN donnée en mars 2016.

Désormais élu, et dans un nouveau geste de transgression, il l’a fait. Une décision unilatérale qui a provoqué une réprobation générale de la communauté internationale. Une réaction qui ne saurait faire illusion tant le dossier israélo-palestinien est désormais perçu comme stratégiquement secondaire aux yeux de nombreuses puissances régionales et internationales. Une erreur d’analyse au regard notamment du statut d’exception dont jouit Jérusalem.

Le 6 décembre 2017 est donc une nouvelle date historique pour les Israéliens … et les Palestiniens. La déclaration de Trump a été prononcée lors d’une brève allocution au cours de laquelle il a justifié sa position par la volonté de suivre « une nouvelle approche » sur ce dossier et la nécessité de « reconnaître une réalité ». La réalité du rapport de force plutôt que la réalité du droit international, en somme.

En tenant l’une de ses promesses de campagne, il rompt avec la ligne suivie jusqu’ici par ses prédécesseurs et renforce l’impression d’un isolement international des États-Unis. Un paradoxe pour la première puissance mondiale, qui voit son soft power s’étioler à mesure que son chef agit sur la scène internationale. Ainsi, si le président américain se dit encore déterminé à faciliter la recherche d’un accord de paix « acceptable pour les deux parties », sa prise de position sur Jérusalem le décrédibilise définitivement aux yeux des Palestiniens. Est-ce la fin du rôle d’« honest broker », d’intermédiaire impartial, que Washington a longtemps revendiqué – avec une part de fiction non négligeable – sur ce dossier ?

Certes, pour Donald Trump, l’essentiel est ailleurs : sa décision a d’abord vocation à remobiliser un électorat composé notamment de sionistes chrétiens, des fondamentalistes évangélistes pour lesquels la Palestine est le berceau du peuple juif, une « Terre promise » sur laquelle il convient de regrouper le « peuple élu » pour mieux amorcer sa conversion au christianisme…

Il n’empêche, cette décision a une résonnance particulièrement forte, compte tenu de la force symbolique de la ville de Jérusalem et du quitus qu’elle semble définitivement donner à la politique de colonisation israélienne à Jérusalem-Est et ailleurs en Cisjordanie. La stratégie diplomatique suivie depuis plus de deux décennies par l’Autorité palestinienne se trouve condamnée, alors que la posture agressive du Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, à la tête d’un gouvernement formé de partis nationalistes et religieux, se trouve couronné de succès. Le tout sous le regard passif des pays arabes et européens… en attendant le grand embrasement ?

JÉRUSALEM, UN STATUT D’EXCEPTION

La ville symbolise à elle-seule le caractère complexe et multidimensionnel du conflit israélo-palestinien : religieux, certes, mais surtout idéologique/nationaliste et territorial. Ces trois aspects sont intimement liés.

Jérusalem abrite les Lieux saints des trois religions monothéistes. Une ville « trois fois sainte », en somme, et source de tensions interreligieuses continues et plus ou moins intenses. Le « noble sanctuaire » (selon les musulmans) est le troisième lieu saint de l’islam : il recouvre le dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Selon la tradition juive, le mont du Temple (détruit en 70 par l’Empire romain) était en lieu et place d’Al-Aqsa.

Depuis l’annexion de Jérusalem-Est, Israël a pris le contrôle du mont du Temple, qui demeure administré par le Waqf, l’office des biens musulmans sous la souveraineté de la Jordanie. Un accord conclu en avril 2013 entre la Jordanie et l’Autorité palestinienne a officialisé le rôle du royaume comme gardien des lieux saints musulmans de Jérusalem. Toutefois, la police et l’armée israéliennes assurent l’ordre et contrôlent l’accès au site (autorisé en principe aux seuls musulmans qui viennent y prier, et interdits aux juifs à l’exception de certaines heures).

Si le président américain se dit déterminé à faciliter la recherche d’un accord de paix « acceptable pour les deux parties », sa prise de position sur Jérusalem le décrédibilise définitivement aux yeux des Palestiniens.
Au-delà de cette dimension complexe mêlant religion, pouvoir de police et autorité administrative, Jérusalem demeure au centre de la construction idéologique et territoriale du nationalisme israélien et palestinien. C’est la représentation (unitaire/partagée) qui est en jeu. Ainsi, après l’annexion de la partie arabe de la ville, la Knesset a déclaré – en décembre 1980 – Jérusalem « réunifiée » comme « capitale » (« éternelle et indivisible ») de l’État d’Israël.

Une revendication -rejetée par la majeure partie de la communauté internationale, à l’exception notable désormais des États-Unis, qui s’oppose frontalement à la volonté des Palestiniens de faire de Jérusalem-Est la capitale de leur hypothétique futur État. Ces prétentions antagonistes s’inscrivent dans l’histoire même du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien.

DE LA COLONISATION DE JÉRUSALEM-EST AU MUR DE SÉPARATION

Si la partie arabe de la ville fait partie intégrante de la Cisjordanie, la résolution onusienne n° 181 du 29 novembre 1947 sur le plan de partage de la Palestine reconnaît à la ville sainte un statut d’entité séparée qui la place sous le contrôle des Nations-Unies. Elle devait ainsi être dotée d’un statut international. À l’issue de la première guerre israélo-arabe, la partie orientale de Jérusalem a été conquise par l’armée jordanienne, la partie occidentale étant annexée par Israël qui en a fait sa capitale.

La « guerre des Six Jours » en 1967 marque un tournant symbolisé par l’annexion israélienne de Jérusalem-Est. Le gouvernement de Levy Eshkol entreprend une politique de « colonisation-judaïsation » de Jérusalem-Est, qui se traduit encore aujourd’hui par une succession d’expropriation et de construction de logements. Pourtant la résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) évoque « le retrait des forces armées israéliennes de(s) Territoires occupés » dans le cadre de l’instauration d’une paix durable.

La politique de « colonisation-judaïsation » s’est prolongée par un autre phénomène également condamnable sur le plan du droit international. Le 14 avril 2002, le gouvernement israélien dirigé par Ariel Sharon a décidé la construction d’ouvrages formant, selon Israël, une « barrière de sécurité » dans certaines parties de la Cisjordanie et de Jérusalem. Le 1er octobre 2003, le conseil des ministres a adopté un tracé complet formant une ligne continue sur une distance de 720 km le long de la Cisjordanie, au nom de la sécurité d’Israël.

L’Assemblée générale a alors saisi la Cour internationale de Justice (CIJ) pour obtenir son avis sur les conséquences, au regard du droit international, de l’édification de ce mur. Ainsi, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, la CIJ a conclu à l’illégalité du mur de séparation, car il concrétise une annexion de territoires occupés et son emplacement ne peut être justifié par des raisons de sécurité nationale.

Dans son argumentaire, la Cour précise que « l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international. » Et de conclure : « Israël est dans l’obligation de réparer tous les dommages causés par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. »

La logique séparationniste de ce mur correspond à la vision du monde de Donald Trump, qui n’a pas hésité à citer l’exemple du mur israélien pour justifier le mur qu’il souhaite ériger entre les États-Unis et le Mexique : « Le mur est nécessaire » ; « Ce n’est pas seulement de la politique et pourtant c’est une bonne chose pour la nation d’une certaine manière, parce que les gens veulent de la protection et un mur protège » ; « Il suffit de demander à Israël. Israël vivait une catastrophe qui touchait le pays et qui venait de l’extérieur et les Israéliens ont construit un mur. Les entrées non autorisées se sont arrêtées à 99,9 % », comme il l’a déclaré dans une interview à la chaîne ABC, le 26 janvier 2017….
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