ANALYSES

Liban : « Hariri avait la main tenue par les dirigeants saoudiens »

Presse
13 novembre 2017
Interview de Didier Billion - Le Parisien
Saad Hariri est-il convaincant quand il se dit « libre » de ses mouvements et assure avoir « écrit sa démission de sa main » ?

Si, comme il le dit, Saad Hariri a été « libre » de ses mouvements, l’enchaînement des faits depuis une semaine est difficilement compréhensible : une démission annoncée depuis l’étranger, dans un discours très radical vis-à-vis du Hezbollah qui ne correspond pas du tout au style de Hariri. Dans sa déclaration, il y avait une charge assez nette contre l’Iran, ce qui montre bien qu’il avait la main tenue par les dirigeants saoudiens.

Pourquoi donner cette interview maintenant ?

Il a été contraint de le faire après les propos du président libanais Michel Aoun assurant que « la liberté de Saad Hariri était restreinte ». Ces propos nettement moins radicaux contre le Hezbollah que lors de son discours de démission montrent qu’il y a une grande part d’improvisation de la part du principal acteur de cette affaire, Mohammed Ben Salmane, le prince héritier saoudien. Encore une fois, ce dernier a payé son impulsivité.

L’Arabie Saoudite a commis une erreur stratégique, selon vous ?

Mohammed Ben Salmane, « MBS », voulait affaiblir le Hezbollah et il a foncé. Mais comment peut-on imaginer cinq minutes que Michel Aoun, élu président du Liban grâce aux voix du Hezbollah, puisse faire pression sur ce même Hezbollah ? Il ne faut pas sous-estimer ce que représente le Hezbollah au Liban, c’est la force centrale actuellement. S’attaquer directement à lui en le faisant dénoncer par le Premier ministre c’est absurde. En plus le Hezbollah n’est pas une organisation qui a l’habitude de rentrer la tête quand on lui demande…

De nombreux Libanais, dans la rue et sur les réseaux sociaux, ont manifesté leur soutien à Saad Hariri. « MBS » a sous-estimé ces réactions ?

Oui totalement. Cette prétention à vouloir faire démissionner un Premier ministre d’un Etat souverain montre les limites de sa réflexion stratégique. Dans leur obsession anti-iranienne, les dirigeants saoudiens veulent apparaître comme un élément stabilisateur dans la région. « MBS » manque d’expérience, est impulsif, et n’a pas de conseiller pour le raisonner. Les dirigeants saoudiens ont des difficultés, de par leur histoire, à maîtriser les codes stratégiques. Ils n’ont pas non plus mesuré le retour de bâton au niveau international. « MBS » a fait une erreur de calcul en considérant que quoiqu’il arrive, les Etats-Unis le soutiennent. Mais les Etats-Unis ne se confondent pas encore totalement avec Trump. Quand l’Arabie Saoudite a décidé de l’embargo contre le Qatar en juin dernier, Donald Trump a applaudi… Avant que ses conseillers ne lui rappellent que le Qatar abrite le commandement central des forces aériennes américaines avec 10000 soldats sur place…

Peut-on imaginer que Saad Hariri retrouve son poste de Premier ministre ?

Ce n’est pas impossible que Hariri reprenne sa démission sous l’amicale pression de son président… même si on n’en est pas tout à fait là. Il faut déjà qu’il rentre. Le président Michel Aoun a eu une réaction constitutionnelle en n’acceptant pas cette démission. Le Liban est un pays affaibli mais il reste un véritable Etat. Il faut tout faire pour maintenir cet équilibre bien fragile. Aoun est très dépendant du Hezbollah mais ce dernier a aussi pour l’instant la volonté de maintenir le cadre national libanais le plus solidement possible.

Certains observateurs, du fait des intérêts financiers de Saad Hariri en Arabie Saoudite estiment que sa situation peut aussi avoir un lien avec les purges menées par le prince héritier…

Saad Hariri a peut-être été mêlé à des affaires de corruption… Mais ce qu’il faut comprendre c’est qu’en Arabie Saoudite, il y a une osmose entre la sphère politique et la sphère économique. Et les accusations de corruption lancées à l’égard de princes sont surtout une façon pour Mohammed Ben Salmane de faire le ménage. Il a été désigné prince héritier cet été au mépris de toutes les règles de succession. MBS veut s’imposer, d’où les purges. Et il y en aura d’autres. Mais son erreur c’est d’avoir fait les purges et la démission de Hariri en même temps. Cela a fait deux dossiers, pas liés directement, mais compliqués à gérer en même temps, et cela attire l’attention.
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