ANALYSES

Face à l’enquête du procureur Mueller, l’impossible stratégie de Trump

Presse
1 novembre 2017
Alors que sont tombées les premières accusations dans le cadre de l’enquête sur les éventuelles collusions entre l’entourage de Donald Trump et la Russie, sur fond de piratage de la campagne d’Hillary Clinton, le président oscille entre diversion et dénégation. Une posture risquée, d’autant que l’enquête est loin d’être terminée.

Trump sait-il s’entourer ? Cette question est au cœur des interrogations après les trois premières mises en accusation contre Paul Manafort, Richard Gates et George Papadopoulos, par le procureur spécial Robert Mueller qui enquête sur les liens entre la Russie et l’équipe de Trump pendant la campagne présidentielle de 2016. Le président, qui s’est souvent vanté d’« engager les meilleurs » a-t-il été naïf dans le choix de certains collaborateurs de premier plan ?

Lorsqu’il l’intègre à son staff, en mars 2016, et plus encore lorsqu’il en fait son directeur de campagne, deux mois plus tard, le candidat républicain ignorait-il le passé sulfureux du lobbyiste pro-russe Paul Manafort ? C’est officiellement pour ses liens avec le président ukrainien Viktor Ianoukovitch qu’il a été écarté de la campagne en août 2016, au profit d’un autre personnage controversé, Steve Bannon. Cette proximité avec le Kremlin était-elle plutôt devenue trop visible ? Pour sa part, Richard Gates, un proche de Manafort, est resté conseiller du président jusqu’en avril 2017.

Manafort, qui avait l’expérience des campagnes de Ford, Reagan et Dole, arrive auprès de Trump au moment où il faut s’assurer du vote des délégués républicains en sa faveur, mais aussi et surtout au tournant de la campagne où il faut diriger les flèches contre la candidate démocrate. Tous les coups étaient-ils permis face à Hillary Clinton ? En tout cas, ce timing renforce les soupçons sur le fait qu’il n’existe pas deux Paul Manafort : l’homme d’affaires, à l’époque déjà sous la surveillance du FBI, proche des milieux politiques russes, et le directeur de campagne de Trump.

L’intérêt de Manafort était-il seulement de soutenir un candidat dont il partage les idées ? Longtemps, Trump a répété qu’il souhaitait réchauffer les relations diplomatiques entre les États-Unis et la Russie de Poutine. Y a-t-il eu promesse d’une contrepartie – la levée des sanctions économiques, par exemple -, si des informations étaient piratées et dévoilées sur Clinton ?

PAPADOPOULOS : UN PREMIER LIEN ENTRE LE STAFF DE TRUMP ET LE GOUVERNEMENT RUSSE

Le cas le plus compromettant, pour la Maison blanche, est celui de George Papadopoulos. Cet homme inexpérimenté, novice en politique, aurait été l’un des conseillers du candidat Trump sur les affaires étrangères. Il a été très vite approché par des parties prenantes russes, dont un mystérieux « professeur » qui lui a promis des documents compromettants (« dirt ») sur Clinton. Pendant la campagne, Papadopoulos n’a cessé de vouloir organiser des réunions entre l’entourage de Trump et le gouvernement russe. Il y a quelques semaines, il a reconnu avoir menti au FBI à propos, notamment, du moment où il a rencontré ce fameux « professeur » : après avoir intégré le staff de campagne, et non pas avant.

Le procureur spécial Mueller cherche à établir, d’une part, la réalité des connexions entre les conseillers de Trump, voire de Trump lui-même, avec les Russes et, d’autre part, si le président, une fois élu, a fait obstruction à l’enquête, notamment lorsqu’il a renvoyé James Comey, alors directeur du FBI. Dans l’audition qu’il avait donnée au Sénat en juin, Comey, persuadé d’avoir été écarté à cause de l’enquête russe, avait raconté que Trump était très préoccupé par celle-ci qu’il qualifiait de « nuage. » Or, Mueller, lui même ancien patron de la police fédérale étasunienne, ne tremble pas. Il avance ses pions un par un et, parce qu’il a travaillé depuis des mois dans le plus grand secret, nul ne sait quels éléments et quelles preuves il a en sa possession à ce jour.

Trump, qui « bout de rage », exacerbe une stratégie de diversion pour le moins périlleuse.
Avec le cas Papadopoulos, le lien entre le staff de Trump et le gouvernement russe est avéré. Et ce dernier est soupçonné, bien qu’il s’en défende, d’avoir interféré dans la campagne pour mettre Clinton en difficulté. Des e mails et des documents internes au parti démocrate et à l’équipe de campagne de la candidate ont été piratés et diffusés par le site WikiLeaks, à la veille de l’élection présidentielle. Les réseaux sociaux ont également été utilisés dans certains swing states pour répandre de fausses informations auprès d’électeurs cibles. S’y ajoutent de possibles tentatives de trucage des systèmes gérant les opérations de vote.

LA DÉFENSE TRÈS RISQUÉE DU PRÉSIDENT TRUMP

Selon les journalistes qui ont interrogé des employés de la Maison blanche, l’ambiance y serait détestable depuis deux jours. CNN rapporte que Trump « bout de rage. » Depuis le week-end dernier, la nervosité est palpable chez le président. Il exacerbe une stratégie de diversion mise en place depuis des mois et pour le moins périlleuse. Accusant les démocrates de chercher des excuses à leur défaite, il a commis une salve de tweets indiquant (exigeant ?) que l’enquête se tourne plutôt vers eux et « Hillary la malhonnête » : « DO SOMETHING ! » (à qui cette injonction s’adresse-t-elle ?) ou encore « Les démocrates usent de cette chasse aux sorcières épouvantable (et mauvaise pour notre pays) pour faire la politique du mal », etc.

Le 30 octobre, après l’annonce de la mise en accusation de Manafort, il a tweeté que les faits qui lui étaient reprochés, ainsi qu’à Gates – pas moins de douze chefs d’accusation de fraude fiscale, blanchiment d’argent, fausses déclarations, non-déclaration de comptes à l’étranger, complot contre les États-Unis (qu’il faut interpréter comme étant en lien avec ces activités financières douteuses) –, remontaient à des années et n’avaient donc rien à voir avec lui. Il a répété à l’envi qu’il n’y a « PAS DE COLLUSION » (l’usage des majuscules est fréquent chez Trump, comme s’il signifiait qu’il élève la voix).

Puis vint l’inculpation de Papadopoulos. Et Trump ne s’exprima pas avant le lendemain, où il le décrivit, sur Twitter encore, comme un « menteur » et un « bénévole de faible niveau nommé George ». Il ne cite pas son nom de famille, afin de le rabaisser et réduire son importance dans le dispositif de campagne. Il semble oublier qu’il savait parfaitement qui était Papadopoulos puisque, dans une interview au Washington Post de 2016, il en faisait le portrait suivant : un « consultant du gaz et du pétrole », un « type excellent. » Il n’était donc pas un « coffee boy », tel qu’un ancien conseiller de la campagne de Trump, Michael Caputo, le surnomme aujourd’hui.

Trump tweete sur la production nationale de charbon, la hausse des prix de l’immobilier, la confiance des consommateurs, l’affaire Benghazi, Halloween, ou encore sur Tony Podesta, le frère de John, l’ancien directeur de campagne d’Hillary Clinton et collaborateur du président Obama. Ce lobbyiste démocrate est lié à Manafort et aux affaires ukrainiennes. Il tente également de faire diversion sur sa réforme fiscale. C’est aussi la stratégie des leaders du Congrès, Paul Ryan en tête, qui restent discrets sur l’enquête de Mueller. Pour le parti, défendre Trump est compliqué non seulement parce que l’étau judiciaire se resserre autour de lui, mais aussi parce qu’il s’agit d’une probable ingérence étrangère dans la politique intérieure, autrement dit d’une potentielle affaire d’espionnage, mettant en jeu la sécurité des États-Unis. Les élus républicains ne veulent pas être complices de cela, à tout juste un an des élections de mi-mandat.

Le président va-t-il, comme il l’avait envisagé il y a quelques mois, demander au ministère de la Justice de démettre Mueller de ses fonctions – ce qui sonnerait comme un quasi aveu de culpabilité et qui, surtout à ce stade, aurait toutes les chances d’être interprété comme une entrave à l’enquête ? « Il n’en est pas question », si l’on en croit Sarah Huckabee-Sanders, la porte-parole de la Maison-blanche.

L’ENQUÊTE DE MUELLER NE FAIT SANS DOUTE QUE COMMENCER

Celle-ci a également affirmé, le lundi 30 octobre, que l’enquête de Mueller n’avait rien à voir avec le président et sa campagne passée. C’est aller un peu vite en besogne, car contrairement à ce que Trump laisse entendre dans ses tweets et dans ce qu’il fait dire à sa porte-parole, l’enquête ne fait que commencer. La stratégie du procureur spécial est probablement de jeter le trouble dans le cercle rapproché du président : qui a intérêt à parler ? Qui a été (voire est) enregistré ou surveillé ?

Décrit comme un « coopérateur proactif » par l’enquête en cours, Papadopoulos collabore avec les enquêteurs depuis trois mois, sans qu’il y ait eu la moindre fuite. Qu’a-t-il dit, qu’est-il en mesure de leur dire ? Dispose-t-il d’enregistrements, d’échanges de mails avec des proches de Trump, y compris aujourd’hui à la Maison blanche, et qui ne savent pas qu’il collabore avec la police ? « Manafort est peut-être un plus gros poisson, mais Papadopoulos, c’est une plus grosse histoire », estime Steve Vladeck, professeur de droit à l’université du Texas. Les tweets peu amènes du président sur Papadopoulos risquent par ailleurs d’inciter ce dernier à parler d’autant plus au FBI.

Manafort et Gates, bien qu’ils aient plaidé non coupables, vont-ils eux aussi coopérer, afin de voir s’amenuiser les charges qui pèsent contre eux – ils encourent en effet de nombreuses années de prison – ? Qui est le prochain sur la liste ? Michel Flynn, l’éphémère conseiller à la sécurité intérieure du président, remercié après qu’il avait reconnu avoir menti au vice-président Pence sur des rencontres, avant l’investiture, avec l’ambassadeur russe aux États-Unis ? Flynn avait aussi caché avoir été invité à une fête organisée par Russia Today, la chaîne de propagande du Kremlin.

Quid de Jared Kushner ? Ce dernier avait, avec Manafort et Donald Trump Jr., rencontré, en juin 2016, une avocate russe, NataliaVeselnitskaya, ainsi que Rinat Akhmetshin, soupçonné d’être un espion russe, dans le but de récolter des informations compromettantes sur Clinton. L’inculpation de son gendre serait un coup très dur porté au président.

Au printemps dernier, l’actrice Robin Wright, qui interprète Claire Underwood dans la série « House of Cards », avait affirmé : « pour la saison 6, Trump nous a volé toutes nos idées. » Quel scénariste, en effet, aurait imaginé une telle histoire pour de vrai ?
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