ANALYSES

L’Arabie saoudite : vers une révolution de velours ?

Presse
3 novembre 2017
L’Arabie saoudite est le berceau d’un islam rigoriste, un État théocratique porte-voix et grand argentier du wahhabisme. Gouverné par la famille Saoud depuis sa création en 1932, le royaume wahhabite est confronté à une série de défis qui le pousse désormais à s’ouvrir lentement … mais sûrement ?

L’Arabie saoudite est un État théocratique qui repose sur une monarchie islamique absolue, contrôlée par la famille Saoud. Le royaume wahhabite est le produit d’un projet politico-religieux né à la fin du XVIIIe siècle. Celui-ci consistait à réunir les musulmans au sein d’un seul et même État. Une sorte d’utopie qui se trouve au cœur du pacte tacite entre la famille Al-Saoud et des descendants de Mohammed Ibn Abdel Wahhab, père fondateur du wahhabisme. Cette alliance du « sabre et du turban », comme le dit le chercheur Georges Corm, a permis de « détribaliser » – selon le mot de la politologue Fatiha Dazi-Héni – une entreprise politico-militaire animée par la volonté de créer une forme d’État imaginé à partir du modèle de l’État-nation.

Au terme de conquêtes successives, le royaume d’Arabie saoudite est fondé officiellement le 22 septembre 1932 par Abdelaziz ben Abderrahmane Al-Saoud, « émir du Nadjd et imam des Wahhabites » depuis 1902, qui en devient le roi. Depuis, l’islam sunnite wahhabite n’a cessé de fonder l’ordre social, juridique et politique du pays.

UN ORDRE POLITICO-RELIGIEUX STRICTEMENT FERMÉ

La société civile est régie par une lecture rigoriste des sources de l’islam – notamment de la loi islamique, la charia -, imposée aux sujets du Royaume qui se trouvent ainsi sous la surveillance et le contrôle d’une police religieuse (les « muttawas ») et d’une « Commission de la promotion de la vertu et de la prévention du vice. » Il s’agit de l’un des pays – avec la Chine et les États-Unis – qui a le plus recours à la peine de mort.

Un rigorisme qui tend à se retourner contre le régime, puisque les salafo-djihadistes d’Al-Qaida et de Daech n’hésitent pas à viser – par la parole et les actes – le royaume en général et la dynastie des Saoud en particulier. Ainsi, derrière une stabilité apparente, le régime est fébrile et fragilisé par la menace djihadiste, mais aussi par le déclin de la manne pétrolière, par le coût et l’échec de l’intervention militaire au Yémen dans un contexte régional de guerre par procuration avec l’Iran.

Une situation dans laquelle le régime montre des signaux paradoxaux. D’un côté, on assiste à un durcissement de sa politique extérieure (vis-à-vis de l’Iran et de ses alliés) et intérieure (répression politico-policière de toute parole contestataire, même d’origine religieuse). De l’autre, l’hypothèse d’une abdication du roi Salman ouvre la perspective d’une intronisation de son fils, le (jeune) prince héritier Mohamed Ben Salman, symbole d’une volonté de moderniser le pays. Sa montée en puissance dans les secteurs de la sécurité et de l’économie s’appuie aussi sur une réelle popularité dans une large partie de la population, notamment chez les jeunes et les femmes. Un leadership qui se traduit par une multiplication de signes d’ouverture.

UN ORDRE SOCIO-ÉCONOMIQUE EN VOIE D’OUVERTURE ?

Si le choc pétrolier de 1973 fut synonyme d’une hausse des prix du pétrole – qui a permis de financer le développement interne du pays -, l’économie saoudienne se caractérise par des déséquilibres structurels : trop forte dépendance à l’égard des hydrocarbures qui représentent encore près de 95 % des exportations et 80 % des ressources budgétaires de l’État ; poids trop important du secteur public et de la fonction publique peu efficaces ; incapacité du marché du travail à absorber les jeunes diplômés ; etc.

La préparation de l’après-pétrole (dans un contexte de baisse des cours du baril depuis 2013) et le nouvel ordre géopolitique régional (marqué par la guerre par procuration avec l’Iran et la montée de la menace djihadiste) nourrissent un mouvement de réformes, dans un pays dont la moitié de la population est âgée de moins de 25 ans.

Le royaume saoudien s’est engagé dans un processus – très modeste mais réel – d’assouplissement des restrictions iniques imposées aux femmes.

L’onde de choc des soulèvements populaires dans le monde arabe en 2011 avait déjà permis l’adoption par le Roi Abdallah de quelques réformes comme la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales pour les femmes, ainsi que la fixation d’un quota de 20 % des sièges du Parlement en leur faveur. En 2013, une trentaine de femmes ont ainsi été nommées au Majlis Al-Choura (qui compte 150 membres), l’Assemblée consultative qui fait office de Parlement.

Plus récemment, le règne de son successeur, le roi Salman, se trouve marqué par une série de décisions non négligeables : reconnaissance du droit de conduire (à partir de juin 2018), l’autorisation des jeunes filles de faire du sport dans les écoles publiques, le droit d’assister à des événements sportifs dans trois stades du pays (à Riyad, Djeddah et Dammam, à partir de 2018), ce qui est en principe interdit en vertu du principe de séparation entre les sexes dans les espaces publics.

Ces mesures annonceraient-elles l’abolition prochaine du régime de tutelle qui exige des femmes l’aval d’un référent masculin membre de la famille – époux, père ou frère – pour réaliser des actes synonymes d’émancipation : étudier, voyager, etc. ?

Nombre de régimes comme l’Arabie saoudite font encore la démonstration de la conciliation théorique et pratique du capitalisme et de l’autoritarisme.
Cette ouverture modeste sur le plan sociétal pourrait s’accélérer sous l’impulsion d’une logique d’ouverture économique motivée par la volonté de sortir le pays de la dépendance pétrolière. La chute des cours du pétrole a creusé les déficits publics (près de 13% du PIB pour 2016) et a poussé le royaume wahhabite à puiser dans ses réserves pour effacer les pertes. Une nouvelle donne qui a finalement conduit le royaume saoudien à s’engager sur la voie d’une reconfiguration de son modèle économique.

ENTRE RIGUEUR BUDGÉTAIRE ET STRATÉGIE D’INVESTISSEMENT

L’Arabie saoudite vient ainsi de lancer son premier grand emprunt sur les marchés financiers internationaux. Il s’agit pour Riyad de lever jusqu’à 15 milliards de dollars sur cinq, dix et trente ans. Une décision qui en annonce une autre : une ouverture importante aux capitaux étrangers et une volonté de diversification des investissements et des secteurs d’activités (y compris dans les services).

L’heure est plus que jamais à l’austérité budgétaire : non seulement c’est la fin de la hausse continue des salaires et des primes des fonctionnaires (au nom d’une stratégie d’achat de la paix sociale), mais les subventions sur l’eau, le carburant et l’électricité sont largement ponctionnées. Dans une posture plus prospective, en avril 2016, le prince héritier Mohammed ben Salman avait déjà annoncé un fonds de 2000 milliards de dollars pour construire une économie post-pétrole. Dans le cadre d’un forum économique baptisé le « Davos dans le désert », il récidive avec la volonté affichée de réaliser un plan de réformes économiques et sociales baptisé « Vision 2030 » et dont le niveau d’investissement est chiffré à 500 milliards de dollars…

Le projet consiste à créer une mégalopole ultramoderne dont le développement écologique est appelé à s’appuyer sur les moyens modernes offerts les nouvelles technologies. Une telle cité serait ancrée au cœur d’une zone économique située en bordure de la Mer Rouge, qui devrait couvrir une surface totale de 26000 kilomètres carrés et s’étendre sur trois États différents (Arabie saoudite, Jordanie et Égypte). Un projet conciliable avec le cadre doctrinal du wahhabisme ? Il n’empêche, nombre de régimes font encore la démonstration de la conciliation théorique et pratique du capitalisme et de l’autoritarisme.
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