ANALYSES

Victoire de David Cameron : quels sont les enjeux de sa réélection pour le Royaume ?

Interview
12 mai 2015
Le point de vue de Olivier de France
Défiant tous les sondages, David Cameron a été réélu en obtenant la majorité absolue à la Chambre des communes, avec 331 sièges. Comment comprendre cette victoire ?
C’est en effet une majorité que personne n’attendait. David Cameron semble avoir gagné cette élection essentiellement sur le terrain de l’économie, qu’il a réussi à faire repartir et qui a finalement pesé plus lourd que l’effet de l’austérité sur le pays. Au-delà de la personnalité de David Cameron elle-même, qui ne suscite pas toujours une adhésion débordante, les Britanniques ont vu un dirigeant fort, crédible économiquement, et qui n’a pas hésité à prendre les décisions qui s’imposaient. Cependant, l’analyse des résultats de cette élection ne fait que commencer, notamment pour les travaillistes qui vont devoir engager une vraie réflexion, eux qui n’ont pas gagné d’élections sans Tony Blair depuis 1974. Peuvent-ils gagner une élection sans mordre sur le centre, dans un pays modéré, qui penche au centre droit ? Des interrogations se posent aussi pour les instituts de sondages, qui ont du mal à lire le vote conservateur. Ce cas de figure s’est déjà produit plusieurs fois par le passé, notamment en 1992 où l’écart entre les estimations et le vote conservateur avait été de presque 10%. Jusqu’à la veille de l’élection, un gouvernement de coalition mené par les travaillistes malgré une courte victoire conservatrice semblait encore le scenario le plus probable.

David Cameron, pendant sa campagne, a promis à ses électeurs la tenue d’un référendum sur le maintien ou non du Royaume Uni au sein de l’Union européenne (UE). Il souhaite négocier avec Bruxelles une réforme du fonctionnement de l’Union. Quelle est-elle ? Selon vous, y a-t-il un risque sérieux de voir le Royaume-Uni quitter l’UE ?
La sortie du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne aurait paru entièrement inconcevable il y a de cela quatre ans, rappelons-le tout de même. Le 23 janvier 2013, David Cameron a promis un referendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne, décision qu’il a prise essentiellement pour des raisons de parti. Elle était destinée à tenter d’endiguer la montée du UKIP, qui se nourrit essentiellement de l’euroscepticisme et de l’aile droite de son parti. Le résultat de ces élections peut justifier cette décision « tactique », puisqu’en dépit d’avoir dicté un certain nombre des thèmes de la campagne, le UKIP se retrouve marginalisé et n’a remporté qu’un seul siège à la Chambre des Communes. Cameron a retrouvé une marge de manœuvre et pourra user de la légitimité que lui donnent ces résultats. Reste que sa majorité demeure très limitée, à l’instar de celle de John Major en 1992, qui lui avait éprouvé de grandes difficultés à sortir de l’ornière de l’euroscepticisme de son parti. Les libéraux démocrates, qui se sont effondrés, n’auront plus l’influence positive qu’ils avaient dans la coalition depuis 2010 sur les relations du Royaume-Uni avec l’UE, et Cameron éprouvera paradoxalement plus de difficultés dans ses relations avec l’aile droite de son parti.
De ce point de vue, il doit naviguer un paradoxe dans les négociations à venir : il devra donner suffisamment de gages de bonne volonté tant à l’aile droite de son parti qu’à ses partenaires européens. C’est un exercice des plus délicats. S’il veut arriver à quelque chose en Europe, il devra faire preuve de plus de doigté que ce dont il a fait preuve jusqu’à présent : être constructif, ne pas braquer, écouter et dialoguer sans trop en demander dès l’abord. Mais cela sera-t-il suffisant pour l’aile droite de son parti ? On serait tenté d’utiliser la formule récente de Yanis Varoufakis : “Red lines are inflexible but our red lines and their lines are such that there is common ground”…
Il n’obtiendra pas de concessions majeures, comme la restriction de la liberté de mouvement ou une modification significative des traités. Il n’y a aucun appétit pour ce faire en Europe, des élections se tenant en France et en Allemagne en 2017, sans parler du budget européen fixé jusqu’en 2019. Il pourra par contre obtenir des réformes plus limitées, sur les prestations sociales des nouveaux arrivants, par exemple, ou des garanties sur le marché unique. Jean-Claude Juncker s’est dit prêt à travailler avec le Royaume-Uni. Bien menées par les deux parties, ces négociations pourraient même se révéler pour l’Europe une chance et une occasion de réfléchir à son fonctionnement qu’elle doit rendre plus cohérent et moins bureaucratique.

Le Parti national écossais (SNP, indépendantiste) est le véritable outsider de ces élections obtenant un total de 56 sièges sur 59, alors qu’il n’en possédait que 6. Comment interpréter ce succès fulgurant du SNP ? Quelles conséquences peut avoir cette large victoire pour l’Écosse et son souhait d’indépendance ?
En effet, et Cameron se trouve face à un dilemme. Le SNP a tiré profit de sa campagne lors du référendum écossais de l’année passée, qui a enclenché une véritable lame de fond, que le parti a su organiser autour d’un débat de fond et d’un vrai projet de société. L’une des caractéristiques fortes de ce projet est un engagement plus profond et plus positif avec l’Union européenne. L’Ecosse est beaucoup plus progressiste et pro-européenne que le reste du Royaume-Uni. Si le Royaume-Uni sort de l’Union européenne, quid de l’Ecosse ? L’on pourrait se retrouver dans une situation où si Cameron veut défendre l’unité nationale du Royaume-Uni, comme il professe de le faire, il devra faire campagne pour le maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Mais le pourra-t-il ? S’il ne le peut pas, il est un scénario qui le verrait rester dans l’histoire comme le Premier ministre qui a démembré le Royaume, quitté l’Union et isolé l’Angleterre.
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