ANALYSES

Ventes de Rafale : la fin d’une décennie d’échecs ?

Interview
4 mai 2015
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny
Après l’Egypte et l’Inde, et peut-être la Malaisie et les Émirats arabes unis, le Qatar vient d’annoncer à son tour l’achat de 24 avions Rafale. Comment expliquer ce succès après une décennie d’échecs à l’exportation ?
Cela peut paraître étonnant mais cela est un peu dû au hasard. Il y a peu de débouchés pour ce type d’avions. Les échecs sur dix ans, c’est aussi moins d’une dizaine de pays dont certains étaient la chasse gardée des États-Unis comme la Corée du Sud ou Singapour. Avec ces trois contrats, la France atteint un taux de réussite d’environ 30%, ce qui n’est pas mal car il y a en général quatre concurrents sur les marchés à l’exportation : les Américains avec plusieurs types d’avions selon les demandes, les Russes, les Européens avec l’Eurofighter, et le Gripen suédois. Sur les trois contrats, deux d’entre eux étaient attendus car le choix du Rafale était arrêté : celui du Qatar et de l’Inde. En revanche, l’Egypte est une surprise ; la décision finale est liée au refroidissement de ses relations avec les États-Unis.
Une autre raison vient du fait que le Rafale est aujourd’hui à la fois un avion moderne mais éprouvé. Les Américains vont de plus en plus promouvoir le F-35, qui est plus cher, face au Rafale qui, en vieillissant, devient une meilleure option. De plus, le Rafale est un avion qui est régulièrement employé depuis cinq ans dans le cadre des opérations extérieures en Afghanistan, en Libye et au Mali.
En troisième lieu, l’État français et Dassault ont travaillé ensemble pour promouvoir cet équipement, ce qui ne fut pas toujours le cas dans le passé, notamment lors de l’échec au Maroc. On ne peut exporter des équipements aussi stratégiques et aussi chers sans une coordination étroite entre cette entreprise et l’État. Le fait que François Hollande signe en personne le contrat au Qatar, témoigne de l’importance de cette vente.
Enfin – et cela a été peu souligné -, l’Egypte, le Qatar et l’Inde disposaient de Mirage 2000. Les Indiens ont même décidé il y a quelques années de moderniser leur Mirage 2000-5. C’est une preuve de confiance quant à la qualité du matériel qui doit être soulignée.

Que penser de la négociation des contrats de vente des Rafale ? Peuvent-ils être préjudiciables à long terme, notamment ceux concernant l’Inde et le Qatar ?
Pour l’Inde, le contrat qui vient d’être signé ne comprend pas, pour l’heure, de transfert de technologie… et c’est sans doute plus un handicap qu’une bonne nouvelle sur le long terme. A court terme, il est certain que les trente-six avions vendus seront fabriqués en France. C’est de l’emploi garanti pour les cinq prochaines années, notamment en Aquitaine. Sur le long terme, l’Inde souhaite développer son industrie aéronautique militaire et ne peut pas le faire sans partenariat technologique. Nous connaissons parfaitement les mesures à prendre pour conserver une longueur d’avance, même avec des transferts de technologie, et donc limiter les risques de concurrence dans le futur. Le contrat pour la vente de cent vingt-six avions prévu initialement, et qui continuera à être négocié, nous permettrait d’avoir un partenariat avec l’Inde sur le long terme. C’est un choix politique qui est fait, c’est aussi un choix industriel et technologique qui est plus compliqué car il peut nous conduire à des obligations d’assistance technologique qu’il faut maîtriser.
En ce qui concerne le Qatar, on se trouve dans un cas plus classique de troc, c’est-à-dire que le pays acheteur souhaite obtenir des compensations vis-à-vis de son achat, qui ne sont pas directement liés à l’acquisition de Rafale. En l’occurrence, le Qatar aurait demandé des droits de trafic supplémentaires pour sa compagnie aérienne en France sur Nice et Lyon. Dans ce cas, il est donc nécessaire d’arbitrer entre l’intérêt commercial du constructeur aéronautique Dassault et celui d’Air France, qui ont chacun des intérêts qui relèvent de l’intérêt général tant l’impact en termes d’image et d’emploi est important dans les deux cas. Il est sûr que cette vente intervient dans une période très conflictuelle à ce niveau puisque la France et l’Allemagne ont par ailleurs demandé à la Commission européenne de négocier un accord équitable avec les compagnies aériennes du Golfe, accusées de concurrence déloyale.

Ces 84 avions de combat vendus ou en passe de l’être, et bientôt 50 hélicoptères en Pologne, font de l’année 2015 une année record pour la vente d’armes à l’exportation de la France. Peut-on imaginer que cette situation perdure à l’avenir ou n’est-ce finalement qu’une bouffée d’oxygène sans lendemain ?
En moyenne, nous vendons pour six à sept milliards d’euros d’armement par an. En 2015, le chiffre des prises de commandes pourrait avoisiner les dix-huit milliards d’euros. C’est sans précédent. C’est une conjonction extraordinaire et cela va permettre d’alimenter notre industrie pendant cinq à six ans dans la mesure où on ne construit pas 84 avions de combat et 50 hélicoptères du jour au lendemain. Par le passé, nous avions déjà connu une autre année exceptionnelle en 1984, avec un montant de 61 milliards de francs. Si on prend en compte l’inflation, le montant n’était donc certainement pas très éloigné de celui qui sera atteint en 2015. La mesure des ventes d’armes se fait donc plus sur des périodes de cinq ou dix ans. L’objectif pourrait être de maintenir une moyenne de huit à neuf milliards d’euros, plus élevé qu’il ne l’est actuellement, mais en deçà du chiffre que l’on atteindra en 2015.
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