ANALYSES

Mairie de Paris, classe politique et « diversité »

Presse
22 janvier 2015
Dans un climat propice à la banalisation de l’islamophobie, la récente déclaration de la Maire de Paris Anne Hidalgo a le mérite de la clarté : « Je n’admets pas la stigmatisation des musulmans » (interview sur I-Télé). Cette assertion traduit l’attachement aux caractères historiquement cosmopolite et multiculturel de la Ville Lumière. Il n’empêche, cette identité qui est le propre d’une capitale-monde est mise à mal par le phénomène de gentrification des quartiers populaires accéléré sous les mandats de Bertrand Delanoë.

Pis, au sein de la Mairie, la morphologie du corps municipal reste en décalage avec la société parisienne : le Conseil municipal, le cabinet du maire et l’administration de la Ville de Paris continuent d’incarner un entre soi à la française. Pour tous ceux qui en ont fait l’expérience, il est frappant de constater combien les couloirs, les bureaux et l’hémicycle de l’Hôtel de ville fleurent bon une France d’un autre temps, celle que certains regrettent amèrement, mais qui continue d’exister et de dominer les sphères de pouvoir.

Cette réalité, plus prégnante encore sous les mandatures de Jacques Chirac (la droite parisienne persiste d’ailleurs à cultiver une tradition de fermeture), perdure depuis l’accession de la gauche au pouvoir à Paris. Ni Bertrand Delanoë, ni Anne Hidalgo n’ont véritablement aéré les arcanes de la vie politique parisienne. Les élections municipales de 2014 et le changement partiel des équipes dirigeantes (membres de l’exécutif et cabinets respectifs) ont conforté l’impression d’homogamie sociale qui règne au nom d’un argument d’autorité aussi fort que fictif : le mérite républicain. Cette « endogamie endémique » continue d’exclure la population des quartiers populaires de l’Est parisien dont se réclament pourtant leurs élus.
L’action politique consiste aussi à agir par des gestes symboliques. Or, sur ce point, la démarche d’Anne Hidalgo a d’emblée été marquée par un réflexe conservateur au moment de la constitution de l’exécutif municipal, cabinets compris. Les mécanismes de reproduction sociale, de solidarité de classe et de réseaux fonctionnant en circuit fermé ont joué à plein. Déjà lors de la campagne municipale, la photo monocolore – éloignée du discours multiculturel tenu officiellement – de ses têtes de liste avait fait sensation. Face aux critiques exprimées à ce sujet, Anne Hidalgo avait osé affirmer qu’elle incarnait à elle seule la diversité. Un peu comme si Manuel Valls, lui aussi d’origine espagnole, pouvait se targuer d’incarner la diversité au sein du gouvernement… Une idée saugrenue à laquelle lui-même n’a pas pensé.

Anne Hidalgo aurait beau jeu d’invoquer l’anti-communautarisme pour rejeter toute critique de sa conception étroite de la diversité. Il n’empêche, sauf à verser dans une forme de naïveté hypocrite, les pratiques clientélistes sont prégnantes dans la vie politique locale. Pis, la logique communautariste/clientéliste joue de facto dans la constitution des listes d’arrondissement jusqu’à la répartition de certains postes de Maire-adjoint. Un tabou républicain, un de plus.

En outre, la candidate à la Mairie de Paris a cédé à la facilité marketing et à la tendance structurelle qui consistent à choisir un visage symbolique pour incarner la problématique de la diversité en politique. Si Yamina Benguigui a finalement été écartée de l’équipe municipale après sa mise en cause par la Haute Autorité à la Transparence de la Vie Publique et son renvoi devant le Tribunal correctionnel de Paris, le choix – ou plutôt le casting – de Myriam El Khomri (désormais membre du gouvernement) répond aux canons de la « diversité en politique ».

L’équation de la diversité en politique demeure toujours aussi problématique et les solutions appliquées toujours aussi insatisfaisantes. L’expérience des nominations médiatiques du premier gouvernement Sarkozy demeure dans toutes les mémoires. Un geste d’ouverture qui s’est finalement avéré motivé par des considérations douteuses. En témoignent les récentes paroles de Nicolas Sarkozy sur les raisons de la nomination de sa ministre de la Justice : « J’avais voulu Rachida Dati comme garde des Sceaux parce que je m’étais dit que Rachida Dati, avec père marocain et mère algérienne, pour parler de la politique pénale, ça avait du sens ».

L’instrumentalisation de la dimension symbolique de « Fadela », « Rachida » et les autres – un réflexe post-colonial fait qu’on aime les appeler par leur prénom – a pris le pas sur d’autres sources de légitimité : la « capacité », la « vertu » et le « talent » pour reprendre les termes de l’article 6 (sur l’égalité) de la Déclaration de 1789. D’autres, pour exister, se complaisent dans une posture droitière à la limite de la haine de soi. Ainsi Malek Boutih n’hésite pas à stigmatiser les quartiers populaires et autres banlieues et à jouer la carte de la peur, y compris par un jeu de construction de concepts fantasmagoriques plus anxiogènes les uns que les autres : après le fameux « islamofascisme », les attaques terroristes qui ont frappé Paris lui ont inspiré l’expression d’« islamonazisme ».

A défaut d’idées et d’actions à son actif, l’ex-pote de SOS racisme s’est converti à l’idéologie des néoconservateurs, ce qui finalement en dit long sur la genèse et les ressorts de la machine antiraciste qui a marqué les années 80 et qui a offert à la République certains de ses plus beaux joyaux, dont Julien Dray et Harlem Désir. Ces derniers ont dit comprendre l’indignation exprimée par Nadine Morano à la vue de femmes voilées sur les plages françaises…