ANALYSES

«Le risque serait de voir les prix des céréales croître et ceux de l’énergie baisser»

Presse
18 mai 2015
Interview de Sébastien Abis - El Watan

Comment expliquez-vous l’instabilité des rendements céréaliers ?


C’est une évidence, l’agriculture dépend du climat. Historiquement, les rendements ont toujours été variables mais la situation pourrait s’accentuer dans certaines régions du monde sous l’effet de changements climatiques très rapides. Autrement dit, la variation interannuelle entre les récoltes devrait s’amplifier, outre l’existence de plus en plus probable d’épisodes météorologiques extrêmes qui fragiliseront les systèmes. C’est pourquoi il n’est pas possible de raisonner de manière isolée : agriculture, sécurité alimentaire et climat font partie d’une même problématique liée au développement humain.


Grâce à des politiques déterminées, l’Algérie a été capable ces dernières années d’accroître sa production agricole. Le pays ne peut toutefois pas ignorer les risques climatiques pour son agriculture. Il est donc juste d’apprécier les efforts actuellement menés par les autorités du pays pour renforcer la sécurité alimentaire nationale.


Comment se présente la situation pour l’Algérie avec la baisse des recettes des hydrocarbures, principale source de financement des importations de céréales ?


Aucun pays ne dispose des mêmes atouts géographiques sur la planète. Par conséquent, il existe une géopolitique des ressources, qui conditionne, plus ou moins fortement selon les cas, les stratégies économiques des Etats. L’Algérie est riche de ses hydrocarbures. Cette dotation généreuse sur son territoire et ses sous-sols est à la fois un avantage et un danger, puisqu’une économie de rente s’est développée et la diversification des secteurs d’activité n’a pas pu atteindre son optimum.


Et quand le prix du pétrole baisse, comme c’est le cas sur les marchés mondiaux depuis l’été 2014, l’Algérie se trouve fragilisée par un tel contexte macroéconomique. A ce titre, les moyens de l’Etat se compressent et l’achat de céréales à l’étranger comporte un coût supplémentaire si l’on pondère cette facture avec le budget à disposition.


Le risque serait de voir les prix des céréales croître dans un scénario de baisse des prix de l’énergie, provoquant alors une double difficulté. Mais cela paraît très incertain, car c’est plutôt le contraire qui est observé : la corrélation dans l’évolution des cours énergétiques et des matières premières agricoles.


Quoi qu’il en soit, dans cette perspective, il faut noter la volonté de préparer le futur. La conférence nationale sur le commerce extérieur tenue à Alger les 30 et 31 mars 2015 l’a bien montré d’ailleurs puisque votre Premier ministre a exposé sa nouvelle politique visant le développement des exportations «hors hydrocarbures» et la consolidation d’un appareil productif national fort. L’Algérie peut augmenter ses productions céréalières.


Cela ne veut pas dire qu’elle sera autosuffisante, mais elle pourrait ainsi construire une souveraineté alimentaire plus solide et moins dépendre peut-être des approvisionnements extérieurs. Notons cependant que les besoins céréaliers en Algérie augmentant, notamment en raison de la croissance démographique ; les importations pourraient rester à des volumes équivalents quand bien même la production nationale augmenterait. Il faut tenir compte de ces tendances en dynamique, c’est-à-dire sur des temps longs.


Des efforts sont annoncés pour l’irrigation, qu’en pensez-vous ?


L’eau et les sols sont deux ressources stratégiques pour l’agriculture. Impossible de s’en passer. L’irrigation en Algérie peut continuer à se développer. Les autorités y semblent très attachées et donnent des moyens actuellement pour moderniser les exploitations, améliorer les infrastructures et vulgariser les techniques performantes pour une utilisation de l’eau qui puisse être optimisée.


Ce type de mesures s’inscrit dans cette politique de renouveau agricole et rural lancée ces dernières années et qui a le mérite de proposer à la fois une ambition pour l’agriculture et une attention significative pour les territoires ruraux. Le fait que l’Algérie relie les objectifs de sécurité alimentaire avec le développement rural est extrêmement important. La croissance doit être plus inclusive socialement et spatialement.


Et pour le dire autrement, rappelons qu’il n’y aura pas de développement urbain durable sur le littoral sans sécurité alimentaire dans ces villes et sans développement en parallèle des régions rurales de l’intérieur. Il en va de la stabilité nationale. Dans ce sens, l’Algérie mise sur son agriculture de plus en plus nettement, soulignant ainsi directement que ce secteur reste décisif, même dans ce XXIe siècle.

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