ANALYSES

La Chine : première puissance économique mondiale pour de vrai ?

Interview
11 décembre 2014
Le point de vue de Sylvie Matelly

Alors que les médias du monde entier annoncent avec fracas que le PIB chinois exprimé « en parité de pouvoir d’achat » a dépassé le PIB américain, que pensez-vous de cet indicateur économique ? Est-il juste d’affirmer qu’il est plus fiable que les autres indicateurs ?


La parité en pouvoir d’achat est utilisée par les économistes depuis plus d’une cinquantaine d’année. Assez courant, il est un indicateur souvent employé par la Banque mondiale. Il est en effet particulièrement intéressant pour calculer le pouvoir d’achat des populations. Il permet de calculer les taux de change entre deux monnaies à partir des prix du marché dans chacun des pays et donc tente de contourner la volatilité, l’instabilité et l’arbitraire des taux de change (qui peuvent être sous-évalués ou sur-évalués par choix politique, à cause de la spéculation ou autre). Il compare en effet la valeur d’un même panier de biens entre deux pays. Imaginons par exemple qu’un même panier de biens vaut 1000 yuans en Chine contre 100 dollars aux Etats-Unis : considérant qu’un même panier de biens doit avoir la même valeur, il considère que le taux de change est de 1 000 yuans pour 100 dollars (soit un dollar pour dix yuans). Lorsqu’on calcule le PIB en parité de pouvoir d’achat, cela permet ainsi de lisser les écarts de prix – traditionnellement les prix sont plus faibles dans les pays en voie de développement que dans les pays développés. Ainsi, suivant l’exemple précédent, un Chinois possédant 1 000 yuans est aussi riche en Chine qu’un Américain possédant 100 dollars aux Etats-Unis. La localisation est importante car elle exprime aussi la limite de ces ppa : avec 1000 Yuans aux Etats-Unis, le Chinois ne pourra probablement acquérir qu’une partie du panier à 100$ puisque le taux de change qui va s’appliquer est le taux de change du marché. Il est par contre probable que l’Américain en Chine ait plus de moyens avec ses 100$ qu’il n’en a aux Etats-Unis…
Cet indicateur n’est donc pas plus fiable que les autres. Par exemple, on intègre souvent des produits alimentaires parmi le panier de biens étudiés. Or les habitudes alimentaires varient sensiblement selon les pays. La limite de cet indicateur repose essentiellement sur le niveau des prix. Or, les prix plus faibles observés dans les pays en voie de développement s’expliquent aussi par une consommation plus faible de la population. Lorsque qu’un pays s’enrichit, les revenus tendent à augmenter, ce qui génère de la demande et entraîne une hausse de la consommation et donc des prix : l’écart de parité de pouvoir d’achat entre deux pays tend alors à se réduire alors même que le niveau de vie de la population augmente.
Cet indicateur est également révélateur des profondes inégalités traversant la société chinoise, où il existe une opposition très marquée entre les zones riches du littoral et la pauvreté du reste du territoire, ce qui fait que les prix restent très faibles.


Cette annonce est-elle l’expression d’un passage de relais entre les États-Unis et la Chine ? S’agit-il réellement d’un « tremblement de terre géopolitique » ?


Je pense que ce n’est très clairement pas le cas. Cet indicateur révèle certes le développement et l’enrichissement de la Chine mais ce n’est pas là une très grande nouveauté. Je me souviens encore qu’il y a dix ans, lorsque je calculais le PIB/habitants chinois, je le mesurais à près de 800 dollars par habitants alors qu’aujourd’hui ce dernier s’élève à plus de 7 500 dollars. On a donc assisté à une croissance exponentielle du PIB et du PIB/habitant chinois lors des deux dernières décennies.
Cependant, la différence majeure entre les États-Unis et la Chine est le différentiel de population existant entre les deux pays. En effet, si on a certes deux économies équivalentes en parité de pouvoir d’achats, on a d’un côté un pays de trois cents millions d’habitants et de l’autre un pays de plus d’un milliard et trois cents millions de citoyens. De plus, les deux pays ne sont absolument pas dans la même situation de développement économique et de création de richesses.
Enfin, les structures économiques des Etats-Unis et de la Chine ne sont absolument pas comparables. Du côté des États-Unis, on retrouve une économie diversifiée, tertiarisée, développeuse de technologies de pointe, qui lui procurent un réel avantage comparatif et lui permettent de demeurer l’un des principaux moteurs de l’économie mondiale, le niveau de vie de la population y est élevé. Tandis que côté chinois, on trouve une économie caractérisée par une consommation extrêmement faible, largement dépendante de ses exportations et, de ce fait, dépendante des marchés extérieurs donc de la conjoncture économique mondiale.
A mon sens, nous ne sommes pas encore dans une notion de « tremblement de terre géopolitique ». Ce dernier surviendra le jour, où le PIB brut chinois rattrapera le PIB américain. Ce passage en tête sera le signe que l’économie chinoise se sera développée, diversifiée, que la consommation compensera la dépendance aux exportations et que le niveau de vie de la population chinoise aura grandement augmenté.


Quelles sont les forces et faiblesses actuelles de l’économie chinoise ? La montée en puissance de la Chine est-elle une réalité ou bien cette dernière ne se révèle-t-elle qu’un colosse aux pieds d’argile ?


La montée en puissance de la Chine est une réalité. Cela n’enlève cependant rien au fait que toute économie – même celle des pays développés – est par définition fragile : dans chaque économie, les périodes de prospérité et de croissance s’entremêlent avec les périodes de crise. Les forces actuelles de l’économie chinoise sont son poids dans l’économie mondiale – la Chine est aujourd’hui la deuxième économie de la planète – et son insertion clé dans la division internationale du travail et en particulier dans la division asiatique du travail. Il est très compliqué en effet de se passer de la Chine. Dans un certain nombre de domaines industriels (électroniques, textile, etc.), ce pays occupe un rôle central et incontournable dans la chaîne de valeur mondiale (à l’image des banques américaines qui sont au cœur du système financier mondial non pas tant de par leur taille mais de par leur rôle, les entreprises chinoises jouent un rôle comparable dans l’industrie mondiale). Dans ce contexte, l’affaiblissement de la Chine serait une mauvaise nouvelle pour l’ensemble de la planète. Il entrainerait probablement un renchérissement des coûts de production, donc des prix de vente de nombreux produits.
L’économie chinoise compte cependant quelques faiblesses. Nous sommes ainsi toujours dans le cadre d’une économie en développement, qui se caractérise par une faible consommation et une très forte dépendance vis-à-vis des exportations. On peut également noter que si la population chinoise, et de ce fait la population active, est certes extraordinairement importante, elle est vieillissante, ce qui pose un grand nombre de défis pour l’avenir.
Enfin, on peut également évoquer la question environnementale, les pays développés n’ayant pas uniquement délocalisé leur production en Chine mais aussi la pollution qui y est associée. Le pays doit apprendre à les maîtriser, ces pollutions et notamment les émissions de CO2 ayant des conséquences extrêmement négatives. La Chine est aujourd’hui le premier pays en termes d’émissions totales de CO2 (depuis 2006) mais restait en 2012, le 71e par habitant… La réduction de ces émissions est donc aussi un défi majeur pour l’économie chinoise et pour le monde dans son ensemble.

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