ANALYSES

Iran : quels sont les enjeux à venir ?

Interview
2 mars 2015
Le point de vue de Thierry Coville
Sachant que le pétrole représente plus de 50% des recettes de l’Iran chaque année, quel est l’impact de la chute des prix du pétrole sur l’économie du pays ? L’Iran peut-il faire face si cette situation se prolonge dans les mois qui viennent ?
L’impact est considérable dans la mesure où les exportations de pétrole de l’Iran ont déjà reculé de 50% depuis 2012 par rapport à 2011. L’Iran se retrouve donc en plus avec une nouvelle baisse des recettes du pétrole liée à une baisse des prix au niveau mondial. On pense que les exportations de pétrole, si les prix se maintiennent à 45 dollars le baril, pourraient représenter environ 25 milliards de dollars en 2015. Or, en 2011, ces recettes étaient de plus de 100 milliards de dollars. Les revenus du pays liés au pétrole seront donc divisés par quatre en l’espace de quatre ans. Par conséquent, la préparation du budget 2015 est problématique, à tel point que l’Iran va sans doute être obligé de réduire considérablement ses dépenses courantes et ses dépenses d’infrastructures en termes réels. Le pays pense d’ailleurs utiliser un fonds de réserve pétrolier ou encore proposer des projets en infrastructures sur la base de partenariats public/privé puisque le secteur public seul n’a plus assez de ressources.
Cette chute de recettes pousse également l’Iran à accélérer un certain nombre de réformes, comme celle de la baisse des subventions sur l’énergie : les ménages les plus aisés ne devraient plus bénéficier des versements en liquide compensant cette réduction des subventions. Par ailleurs, le pays va peut-être être obligé de développer les ressources fiscales non pétrolières. Mais cela ne se fait pas en quelques mois et le budget 2015 va être difficile à boucler dans ces conditions. L’économie semblait repartir avec une croissance de 3% en 2014, mais si le prix du pétrole reste au niveau actuel, on pourrait s’attendre à une croissance qui soit de l’ordre de 1 ou 2 % en 2015. L’Iran pourra faire face pendant un an, à condition que les prix du pétrole remontent l’année prochaine. Sans oublier les négociations sur le nucléaire qui, en cas de succès, représenteraient une levée des sanctions et permettraient au pays d’exploiter 100% de son potentiel en termes d’exportations de pétrole. La levée des sanctions aurait alors un impact bénéfique surtout sur la confiance des agents économiques.

Qu’en est-il des négociations sur le nucléaire entre le P5+1 et l’Iran ? Selon vous, un accord définitif va-t-il être trouvé ?
Il faut normalement qu’un accord cadre soit trouvé fin mars 2015 pour donner le temps à un accord technique d’être constitué pour fin juin 2015. Du côté iranien, le guide Ali Khamenei a montré qu’il soutenait toujours l’effort de négociations. C’est un fait très important car cela signifie que le gouvernement actuel, même s’il est critiqué par les plus durs, est malgré tout soutenu par le guide. On sait que ce dernier aurait écrit à Barack Obama en évoquant l’ennemi commun aux deux pays qu’est l’Organisation État islamique (Daech). Le simple fait d’une correspondance entre ces deux pays est une chose très positive pour les négociations.
Côté américain, Barack Obama veut lui-aussi toujours trouver un accord avec l’Iran. Les négociations avancent lentement mais restent soutenues par cette volonté commune d’aboutir des gouvernements américain et iranien. Néanmoins, il y a peut-être encore à l’heure actuelle des divergences concernant le rythme de levée des sanctions. En effet, les Iraniens demandent que toutes les sanctions soient abandonnées dès qu’un accord sera trouvé ; alors qu’aux États-Unis, un certain nombre de sanctions ont été votées par le Congrès et ne peuvent donc être annulées que par ce dernier. Par ailleurs, maintenir un certain nombre de sanctions en place est vu du côté occidental comme un moyen de maintenir la pression sur l’Iran. On sait que le gouvernement israélien est notamment opposé à tout accord. Benyamin Netanyahou va ainsi s’adresser au Congrès américain le mardi 3 mars, probablement sur ce sujet, sans y avoir été invité par Barack Obama.
Cet accord apparait d’autant plus important qu’il n’y a pas d’autre alternative envisageable qu’un succès des négociations. Dans le cas contraire, l’Iran pourrait revenir à un niveau d’enrichissement d’uranium à 20 %, ce qui rapprocherait le pays du niveau militaire à 90 % (depuis l’accord de novembre 2013, l’Iran a limité son enrichissement à 5 %, soit un niveau correspondant à une utilisation « civile ») et les tensions internationales monteraient d’un cran. Tout espoir de coopération avec l’Iran pour lutter contre Daech disparaitrait. Enfin, le gouvernement « modéré » d’Hassan Rohani serait considérablement affaibli par rapport aux courants les plus radicaux en Iran…

Quel rôle la France joue-t-elle dans ces négociations ?
Certains diront que la France est finalement cohérente avec sa position passée dans la mesure où l’Iran a selon elle toujours eu le droit au nucléaire civil. Il est vrai que les négociations sont plutôt menées entre les États-Unis et l’Iran, et que les Européens n’en sont finalement qu’informés dès que des progrès tangibles sont observés. Mais la France a-t-elle pris conscience des enjeux que représentent ces négociations et adopte-elle, sur ce sujet, une diplomatie qui soit à la hauteur ? Cet accord représente un tel enjeu pour l’Iran mais également pour la région et pour la lutte contre Daech que la France devrait peut-être adopter une position plus offensive ou jouer un rôle de médiateur. Actuellement, le pays donne davantage l’impression d’être spectateur et attentiste de la dynamique diplomatique qui se joue entre l’Iran et les États-Unis. De mon point de vue, c’est une chose que l’on peut regretter car la France dans d’autres occasions, sait jouer un rôle différent, beaucoup plus actif de « médiateur ».
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