ANALYSES

Combattre la propagande de l’État islamique. Contre-message ou stratégies indirectes ?

Tribune
26 novembre 2014

Comment lutter contre la propagande djihadiste ? Le problème se pose de façon cruciale depuis que l’Etat Islamique a surpassé Al-Qaïda par sa maîtrise de l’image et par sa capacité à s’adresser à de jeunes Occidentaux sur les réseaux sociaux avec les codes culturels qui leur parlent -qui sont souvent ceux des blockbusters américains ou des jeux vidéo.


Mais l’idée de gagner « les cœurs et les esprits » n’est pas vraiment nouvelle et les méthodes utilisées depuis le 11 septembre, voire avant, par les gouvernements rentrent dans des catégories que l’on peut globalement identifier sous les modèles suivants :


– La contre-propagande ou diplomatie publique : grosso modo, il s’agit de produire des messages accusant l’adversaire des pires méfaits et contradictions, mais présentant également une image positive de son propre système (en montrant par exemple sa prospérité et sa tolérance) et expliquant la pureté de ses intentions – nous luttons pour des valeurs universelles, nous ne poursuivons aucun dessein impérialiste, nous n’en voulons qu’aux dirigeants félons et non aux peuples ou à une communauté religieuse -. Un exemple récent serait la vidéo « Think again and turn away » produite par le Center for Strategic Counterterrorism Communication (une agence américaine), qui est censée dissuader les apprentis djihadistes en leur montrant les horreurs perpétrées par les djihadistes sur les zones de combats. Mais comme les apprentis djihadistes vont précisément en Syrie ou en Irak pour châtier atrocement les ennemis de l’islam et accessoirement pour mourir en martyrs, on peut douter de l’efficacité d’un tel message.


– Les techniques dites de déradicalisation consistent à traiter des individus ayant pratiqué le djihadisme – ou tenté de le faire et repéré en phase d’incubation – comme des malades ou des déviants et à les rééduquer selon de « vraies » valeurs ou selon une vision « saine » de la réalité, éventuellement en faisant témoigner d’anciens djihadistes repentis, qui expliquent comment ils ont été manipulés. Cela revient à utiliser des méthodes de réinsertion des criminels, de désintoxication des drogués ou de resocialisation des victimes de secte dans un contexte idéologique.
– L’appel à des leaders d’opinion ou à des autorités religieuses, qui publieront des fatwas ou des déclarations destinées à réfuter les délires doctrinaux des djihadistes d’un point de vue islamique et théologique – ce qui est plus efficace que la déclaration d’un ministre de l’Intérieur expliquant que le jihadisme n’a rien à voir « avec le véritable message de l’islam qui est une religion de paix et de tolérance ».


– Une confrontation directe avec l’adversaire, en allant sur ses forums, ses réseaux sociaux par exemple, pour le défier, l’accuser de mensonge, et montrer sa résolution à le combattre.
– La guerre de l’attention sur les média 2.0 telle qu’elle est pratiquée par Tsahal et le Hamas : puisque l’opinion de l’adversaire trouvera toujours à s’exprimer en ligne, l’idée est d’attirer un maximum d’internautes et, en particulier, de médias vers ses propres messages, ses images, ses sites, en bombardant de tweets ou de liens destinés à mieux se faire référencer ou mieux citer et recommander que l’autre. Ici nous sommes en présence d’une stratégie de submersion, qui suppose de rendre l’autre inaudible ou invisible plutôt que de détruire ses arguments.


Pourrait-on alors à partir de là imaginer des techniques plus sophistiquées, même si elles devraient être plus ou moins inavouées, voire pratiquées par des services secrets ? Nous apprenons tous les jours que des hackers ont volé l’identité d’un internaute, posté des mails, des messages sur un mur Facebook, des Tweets, etc., en ses lieux et places. Par ailleurs, des entreprises ou des organisations politiques se créent de faux partisans sur les réseaux sociaux – qui sont en réalité des « robots » ou des algorithmes – et fabriquent ainsi des pseudos « courants d’opinion ». Certains groupes interviennent quant à eux sur les réseaux sociaux en jouant les « trolls » : comprenez en multipliant les messages qui n’ont guère de sens mais qui paralysent le débat et découragent les participants. S’infiltrer sur les réseaux de communication adverses et les intoxiquer en propageant des contenus, des faux, des illusions qui créeront des erreurs, des divisions ou simplement de la confusion (voire la paralysie du système ), ce n’est pas une idée nouvelle. Existe-t-il des centres secrets où nos services travaillent sur de telles hypothèses et fabriquent des outils de propagation du chaos dans les réseaux et les systèmes djihadistes ? On peut l’imaginer et, qui sait, le souhaiter.

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