ANALYSES

Chaos en Libye : quelles pistes pour sortir de la crise ?

Interview
6 janvier 2015
Le point de vue de Kader Abderrahim

Alors que les négociations, sous l’égide de l’ONU qui devaient commencer aujourd’hui, viennent d’être repoussées, que deux gouvernements rivaux se disputent le pouvoir, que peut-on dire de la situation politique actuelle en Libye ?


C’est très simple, c’est le chaos. Ce n’est pas seulement le chaos politique car il y a deux gouvernements et deux parlements rivaux mais c’est également le chaos sur le plan sécuritaire. C’est une véritable guerre. La Libye est aujourd’hui au bord de la guerre totale. Dans cette situation, personne n’est épargné, aucune région n’est à l’abri et on est aujourd’hui au bord d’une déflagration généralisée de tous les courants et de tous les protagonistes dans le pays. Il faut donc trouver très rapidement, par les voies diplomatiques, les moyens de mettre fin à ces rivalités. Après tout, il y a eu des élections. Il faut donc que chacun des protagonistes respecte les résultats de ces élections, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.


Jean-Yves Le Drian a parlé fin décembre d’une situation « qu’il ne faut pas accepter », à propos du développement d’un « sanctuaire terroriste » dans le pays. Qui sont ces groupes et quelles menaces représentent-ils pours la région et plus largement pour la sécurité internationale ? Va-t-on vers une nouvelle intervention internationale en Libye ?


Tout d’abord, je trouve qu’il est problématique d’entendre le ministre français de la Défense dire ce qu’il faut accepter ou pas. En ce sens, on ne respecte pas le principe de souveraineté des Etats. Ensuite, il est encore plus étonnant d’entendre ce même ministre, dont le pays a été le fer de lance de la guerre en Libye en 2011 – celle-là même qui a conduit à la chute de Kadhafi et au chaos que l’on vit actuellement – tenir ces propos. Et enfin, il est toujours facile de parler des conséquences, mais lorsque l’on agit, lorsque l’on est politiquement responsable – c’est à dire que les actions que l’on mène ont des conséquences – alors nous devons nous interroger : pourquoi la Libye en est-elle là aujourd’hui ?
La situation actuelle est la conséquence directe de la guerre déclenchée par les Occidentaux dans cette région du monde. Alors que nous avons, depuis plus de 20 ans déjà, déstabilisé le Moyen-Orient, c’est aujourd’hui le Maghreb qui est touché. C’est évidemment beaucoup plus inquiétant pour les Européens et notamment pour la France, parce que le Maghreb est aux portes de l’Europe. Encore aujourd’hui, les vacances de Noël ont été vécues avec l’angoisse de voir des migrants débarquer par milliers. Ceux-ci proviennent de tous ces théâtres de guerre, que ce soit de Syrie, d’Irak ou de Libye. La question n’est donc pas de savoir si les Occidentaux vont mener une nouvelle opération militaire en Libye. La question est de savoir, si nous menons une nouvelle opération, si celle-ci apportera plus de stabilité à la Libye et à la région du Maghreb. Je ne crois pas que ce sera le cas.


Quel espoir peut-on fonder sur les tentatives de négociation menées par l’ONU pour stabiliser la situation libyenne ? Quel est le rôle à jouer des acteurs de la région ?


Il ne faut pas s’attendre à grand-chose, ni de la Ligue arabe, ni de l’Union africaine. Tout d’abord parce que l’Union africaine a déjà formulé auprès de l’ONU une demande pour mettre en place, le plus rapidement possible, une force d’interposition, qui a été déclinée. Ensuite, la Ligue arabe est un syndicat de chefs d’Etats qui n’ont que peu de légitimité populaire.
Enfin, l’Algérie est extrêmement hostile à toute nouvelle intervention. Si une nouvelle guerre est déclenchée, les djihadistes qui seront pourchassés en Libye devront trouver refuge ailleurs, et les Algériens craignent que cela se fasse sur leur sol. Ce pays a déjà été meurtri par 10 ans de guerre fratricide, le terrorisme n’a pas totalement disparu et, même si il est aujourd’hui beaucoup moins présent qu’il ne l’était dans les années 1990, cela reste une menace sérieuse. La déstabilisation de la Libye sur le plan sécuritaire concerne donc au premier chef l’Algérie, mais pas seulement. Sont concernés également l’Egypte, la Tunisie, le Niger, le Soudan.
Nous avons vu également qu’une des conséquences de cette guerre en Libye a été notamment la mise en place d’une armée djihadiste dans le Nord du Mali, qui a provoqué, là aussi, une réaction militaire de la France. Il ne faut donc pas se contenter de dire ou de pointer les conséquences mais il faut bien agir sur les causes. Il faut dire ce que l’on n’a pas fait, et ce que nous aurions dû faire. Après tout, nous devons toujours évaluer nos actes après les avoirs lancés. Aujourd’hui, la question importante est de savoir pourquoi nous n’avons pas agi au moment où il était possible de le faire à propos de la Libye. Tout découle aujourd’hui de cette situation qui devient dramatique, pas seulement pour les Libyens mais aussi pour l’Europe.


Quelles sont donc les pistes vers lesquelles nous pourrions nous tourner, dans la perspective d’une amélioration de la situation libyenne ?


Il n’y a pas ici une multitude d’hypothèses à disposition. Il y a des acteurs dont on sait qu’ils ont une influence : l’Arabie Saoudite et le Qatar. Il y a un acteur dont on sait qu’il a un poids régional important : l’Algérie. Il y a, enfin, un acteur dont on sait qu’il est plus ou moins impliqué dans cette guerre parce qu’il a pris position : l’Egypte. Ce groupe de pays doit impérativement, avec le soutien de l’Europe et des Etats-Unis, se retrouver, discuter avec les protagonistes et trouver des solutions diplomatiques et politiques pour la Libye. L’aventure militaire ne conduira qu’à une plus grande instabilité pour tous les acteurs et à un accroissement des menaces pour toute la région.

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