ANALYSES

Avant, il était américain mais ça c’était avant… pour la Chine, le “rêve” est désormais “asiatique” : bienvenue dans le 21ème siècle

Presse
13 novembre 2014

Xi Jinping avait lancé, lors de son accession au pouvoir, son idée d’un « rêve chinois », qui a bien du mal à s’imposer en Asie… et même en Chine. Quels seraient les contours d’un tel rêve chinois ?


Le « rêve chinois » c’est d’abord de sortir de la volonté de se rapprocher des Etats-Unis, avec une volonté de mettre en place une sorte de sphère de coprospérité asiatique, un peu à l’image de ce qu’avait voulu faire le Japon à une autre époque. Il y a une envie partagée, pas seulement par les Chinois, de s’extraire du système occidental pour s’insérer dans quelque chose d’un peu plus asiatique.


En marge du sommet de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) à Pékin, la Chine a annoncé une étude de faisabilité d’une zone de libre-échange en Asie, la « FTAAP » (Free Trade Area of the Asia-Pacific), qui est un projet concurrent du Traité Transpacifique voulu par les Etats-Unis qui n’inclut pas la Chine. Qu’est-ce que l’Occident a à craindre de cette réponse de la Chine ? Quelles conséquences la « FTAAP », si elle voyait le jour, pourrait avoir sur l’Europe et les Etats-Unis ?


C’est difficile à dire car on est encore très largement dans le déclaratif pour l’instant. D’ailleurs au niveau mondial, le chemin vers le libre-échange a déjà été fait en partie grâce à l’OMC et l’abolition des protectionnismes. L’idée de mettre en place une zone de libre-échange avait encore une signification « dure » dans les années 50, où un protectionnisme fort existait. Mais les choses s’estompent de plus en plus actuellement. Même s’il y a quelques belles réussites françaises en Asie, la plupart des entreprises hexagonales ne marchent pas si bien que cela pour l’instant. Le marché chinois fait encore rêver, mais la Chine a surtout envie d’exporter, pas d’importer !


Après avoir régulièrement dépassé les 10% de croissance pendant plus d’une décennie, la croissance chinoise plafonne maintenant autour de 7,5%. La Chine n’a-t-elle pas dépassé son pic de croissance pour mener un tel projet ? N’est-il pas déjà trop tard ?


La Chine n’est pas en déclin, elle atteint seulement une « butée ». Un certain nombre d’économistes pensaient que les arbres montaient jusqu’au ciel, évidemment il n’en est rien…La Chine va se rentrer dans la voie d’une certaine régularisation économique.


Quel est l’intérêt pour un pays d’Asie de l’Est ou du Sud-Est d’avoir un partenariat économique avec la Chine plutôt qu’avec les Etats-Unis ? Sur quels arguments une Chine dont l’avenir est encore incertain peut-elle fédérer ?


La Chine est en train de découvrir qu’elle est allée trop loin en mer de Chine du Sud face à l’ASEAN. Elle a peut-être jeté dans les bras des Etats-Unis plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est. Et Xi Jinping n’arrive pas à vendre à sa population un recul sur la question territoriale avec les voisins. Elle a beau développer un vrai « soft power », elle reste agressive sur les revendications territoriales, et c’est ce que ses voisins voient en priorité. Si la Chine ne revient pas en arrière sur ces conflits, elle va continuer à heurter les sensibilités de ses voisins, ce qui les rapprochera un peu plus des Etats-Unis. C’est déjà le cas de l’Inde, et – de manière assez contre-historique – le Vietnam. La Chine aura du mal à remplir son dessin en apparaissant comme arrogante et impérialiste.


D’autres pays asiatiques, et notamment le Japon, cherchent aussi à émerger sur la scène continentale et représentent de sérieux obstacles au projet chinois. La Chine entretient des tensions territoriales avec certains de ses voisins, notamment le Vietnam ou les Philippines, quand ce ne sont pas les relations diplomatiques avec d’autres (comme l’Inde) qui sont complexes. La Chine peut elle s’imposer sur un continent où, même si elle est leader, elle n’est plus hégémonique ? La Chine est-elle arrivée au bout de son modèle ?


Le Japon a aussi un passé impérialiste très lourd dans toute l’Asie. Le Japon essaie de revenir sur la scène continentale depuis trente ans en voulant s’affirmer comme une vraie puissance, y compris militaire maintenant, avec un gouvernement élu sur une ligne assez dure. L’image de marque du Japon n’est donc pas si bonne que ça. De plus, les gammes de produits au Japon et en Chine n’étant pas les mêmes, pour l’instant, il n’y a pas forcément de vraies confrontations économiques. Une volonté hégémonique chinoise peut donc se réaliser avec un Japon qui tient sa place, d’autant plus que cette volonté hégémonique fait peur.


La Chine est-elle la dernière zone géographique pouvant impulser un projet d’une telle ampleur ? Qu’est-ce que la volonté de cette ambition chinoise face à l’absence de projet crédible au niveau européen nous apprend sur la dynamique mondiale du moment ?


Il existe déjà de nombreuses zones de libre-échange, y compris en Asie. Beaucoup d’annonces ne sont pas toujours suivies de réalisation. Je me méfie donc des conclusions à tirer de l’annonce d’une zone de libre-échange. Au-delà du libre-échange, la Chine a encore beaucoup d’obstacles à surmonter dans des pays où les minorités chinoises dans le monde des affaires sont souvent discriminées, quand il ne s’agit pas de problèmes inter-chinois. Je doute que la Chine soit donc en position de fédérer. De plus, en Asie on fait rarement des traités, plutôt des arrangements.
Quand on parle de libre-échange en Asie, il ne faut pas s’imaginer le Traité de Rome, mais plutôt des discussions peu visibles. Le terme de « zone de libre-échange » est donc à prendre avec des pincettes quand on parle de l’Asie, et à ne surtout pas considérer selon des standards occidentaux.

Sur la même thématique
Quel avenir pour Taiwan ?