ANALYSES

Amérique latine, entre secousses politiques et chute des cours pétroliers

Presse
22 février 2015
Argentine, Brésil, Mexique, Venezuela, figurent depuis quelques mois aux rubriques médiatiques, incertitudes économiques et politiques. Pétrole, gaz, soja, minerais divers, tirés par la demande chinoise ont assuré des fins de mois confortables pendant une dizaine d’années aux pays d’Amérique latine. Ces revenus depuis trois-quatre ans se sont dégradés. Ces pays ont connu pendant la même période une succession de drames et scandales institutionnels perturbateurs. Les deux phénomènes sont apparus pratiquement en même temps. Sans faire du marxisme de café du commerce le constat d’un parallélisme s’impose. La qualité de la démocratie a baissé d’un cran, à l’unisson de celle du baril de pétrole. A défaut d’établir un lien de causalité le rapprochement mérite d’autant plus d’être noté qu’il concerne des pays gouvernés de façon différente.

Le Mexique se veut libéral. Le président Enrique Peña Nieto au pouvoir depuis 2012 a engagé de grandes réformes visant à ouvrir l’économie au capital étranger, en particulier dans le secteur énergétique. Le Venezuela dirigé depuis 2013 par Nicolas Maduro défend une autre politique, un capitalisme dirigiste et étroitement encadré par l’Etat. En dépit de leurs orientations au moins verbalement aux antipodes les unes des autres, Caracas et México, relèvent pourtant du même double diagnostic. Le pétrole mexicain comme le pétrole vénézuélien se vend plus mal et à moindre prix. Les deux pays traversent une séquence politique difficile et voisine.

Mexique et Venezuela ne sont pas les seuls pays concernés. Même si la convergence paradoxale de leurs situations interpelle. Trois constats de crise permettent la mise en évidence d’une sorte de dénominateur commun latino-américain quasi collectif. L’un est économique, le second est social et le troisième politique.

Premier constat la chute des cours du baril, comme ceux des minerais, réjouit les pays consommateurs, mais côté producteurs l’heure est à la soupe à la grimace. Les prix ont en effet concernant le pétrole brutalement fondu passant, de 100 à 50 dollars le baril. Or en Argentine, au Brésil, au Mexique, au Venezuela, le budget de l’Etat et le revenu national, reposent en grande partie sur les ventes d’or noir, de minerais et de produits agricoles. Les exportations de pétrole représentent 30% du budget national mexicain, et 50% de celui du Venezuela. Cuivre, soja, se vendent moins bien. Leur valeur a baissé de 7,5% en moyenne en 2014. L’Argentine, gros exportateur de soja, et le Chili, en situation identique pour le cuivre, engrangent moins de devises. Conséquence la croissance a subi un brutal coup de frein. Elle a été de 1,2% en 2014 pour l’ensemble des pays. Elle est négative ou quasiment négative au Brésil et au Venezuela. Elle est à la peine au Chili et au Mexique. L’inflation et l’endettement ont repris.
Deuxième constat, la bataille contre la pauvreté ouverte dans tous les pays depuis dix ans est aujourd’hui sur le fil du rasoir. Quelles que soient leurs options idéologiques, libérales ou bolivariennes, tous ces pays ont dans les années 2000 consacré une partie des gains tirés de leurs exportations agricoles, énergétiques ou minérales, à la mise en place d’ambitieux programmes sociaux : Bourse famille au Brésil, Chili solidaire, Opportunités au Mexique, Missions sociales au Venezuela etc… L’heure est aux économies et aux ajustements budgétaires. Résultat des courses, cette bataille a selon une étude de la Commission des Nations unies pour l’Amérique latine, (la CEPAL), marqué un point d’arrêt en 2013-2014, l’indice de pauvreté restant bloqué à 28% de la population totale.
Troisième constat, on note l’émergence d’accidents politiques et humains qui bousculent la paix sociale. Le Venezuela a vécu plusieurs semaines de guérilla urbaine, en 2014. Le solde de 43 morts est partagé par les deux camps antagonistes, celui des manifestants opposés au gouvernement et celui des forces de l’ordre. Le 23 septembre 2014 50 personnes, en majorité des étudiants, sont mortes ou pour 43 d’entre elles ont disparu dans la ville mexicaine d’Iguala. Les autorités et les polices locales infiltrées par les cartels de stupéfiants ont été mises en cause. Des dizaines de cadavres non identifiés ont été depuis mis à jour. Le 18 janvier 2015 à Buenos Aires un procureur a été retrouvé mort dans son appartement. Il avait la responsabilité d’un dossier difficile concernant un grave attentat contre une institution juive argentine ayant causé en 1994 la mort de 85 personnes. Les trois pays vivent en 2015 à l’heure d’une fébrilité collective latente, rythmées par des rassemblements et des marches « blanches ».
Argentine, Mexique, Venezuela ne sont pas les seuls pays concernés. La morosité de la conjoncture pèse aussi sur le moral des Brésiliens et des Chiliens. Les Brésiliens ont manifesté leur mécontentement avec un peu d’avance en juin 2013, dans la plupart des grandes villes. Au Chili les étudiants, les communautés indiennes mapuches, les mineurs sont sur pied de guerre depuis trois ans. De mystérieux attentats dans le métro de Santiago, la capitale, les 13 juillet et 8 septembre 2014, ont blessé 14 personnes. Les anciens pauvres, ce que parfois on qualifie de nouvelles classes moyennes craignant de voir les acquis de ces dix dernières années fondre avec les cours du pétrole et autres minerais, prennent la rue à défaut de portevoix électoraux.

Bien sûr quelques pays échappent à ce descriptif. La Bolivie, la Colombie, l’Equateur, l’Uruguay, passent à travers les gouttes de la récession et des fractures politiques et sociales. Les raisons en sont multiples et particulières à chacun de ces pays : gestion prévisionnelle en bons pères de famille en Bolivie et en Equateur, baisse d’intensité du conflit interne en Colombie Bien sûr la simultanéité des déraillements économiques et politiques dans les autres pays relève du coupé-collé. Il n’a pas en lui-même valeur explicative. Malgré tout l’émergence quasi simultanée d’une double instabilité, économique comme politique, interpelle et au minimum éveille curiosité et suscite des questions.

Comment y répondre ? Certains ont recours à l’argumentation du complot international cherchant une logique politique à la chute des cours. Pourquoi pas ? Mais qui pourrait avoir intérêt à déstabiliser tout à la fois le Venezuela bolivarien et le Mexique si proche des Etats-Unis ? Les économistes ont de façon plus convaincante signalé un phénomène de dominos. La baisse de la croissance chinoise a ralenti la demande de Pékin en produits agricoles et énergétiques. Or la Chine était devenue ces dernières années le premier importateur latino-américain de ces produits. Les divergences au sein de l’OPEP ont également leur part de responsabilité dans la baisse des cours pétroliers. Le président vénézuélien l’a bien compris.il a en janvier 2015 essayé de convaincre les membres de l’organisation de la nécessité de réduire la production pour faire remonter les cours. Il a trouvé une oreille attentive à Alger. En revanche Ryad est resté sourd à cette argumentation.
Les prochains mois permettront sans doute de vérifier la portée du parallélisme des conjonctures économiques, sociales et politiques. Les interrogations autour d’un scénario optimiste pourraient être celles-ci : La remontée possible des cours à un moment imprévisible va-t-elle s’accompagner d’une accalmie sur les fronts sociaux et politiques ? A supposer bien sûr que les gouvernements dans cette hypothèse répartissent de façon équitable les plus-values tirées des exportations ? Et les interrogations autour d’un cas de figure pessimiste pourraient être les suivantes : La perpétuation, plus ou moins prolongée de la morosité du cours des matières premières, et donc des ressources budgétaires des Etats, va-t-elle accentuer les contradictions sociales et politiques dans les pays déjà fragilisés ? Les rendez-vous électoraux de la fin 2015, présidentiel en Argentine et parlementaire au Venezuela vont en tout état de cause apporter les premiers éléments d’une réponse.
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