ANALYSES

Boycott de l’hymne américain par des sportifs : « Trump attise les clivages raciaux»

Presse
25 septembre 2017
Cette offensive de Trump contre des sportifs afro-américains est-elle calculée ou spontanée ?

Elle est à la fois calculée et impulsive. C’est un acte impulsif dans le sens où Trump ne supporte pas qu’on le critique et qu’on le remette en cause. Le fait que ces critiques viennent d’Afro-américains est encore plus insupportable pour lui. Mais ces tweets sont aussi stratégiques. C’est un nouveau message qui est envoyé aux suprémacistes blancs, le coeur de son électorat, ces fameux «hommes blancs en colère». C’est dans la continuité de Charlotesville (où Trump n’avait pas clairement condamné les violences des suprémacistes, ndlr) ou de la grâce du shérif Arpaio… Les mots employés sont importants, il traite les athlètes qui s’agenouillent pendant l’hymne de «fils de p…» Il n’est pas certain que Donald Trump aurait eu des mots aussi durs s’il s’agissait d’athlètes blancs. Il y a une dimension raciale, et sans doute raciste. Ce qui se passe est objectivement très choquant.

Ce week-end, des athlètes noirs américains ont écouté l’hymne le poing levé, comme lors des JO 1968. L’Amérique de 2017 est-elle aussi fracturée que celle des années 1960?

Aujourd’hui, la société américaine est moins divisée racialement. Mais il y a tout de même un racisme important. L’Amérique post-Obama n’est pas une Amérique post-raciale comme il l’avait promis. Trump attise les clivages raciaux. Il souffle sur les braises. On est aujourd’hui dans une société beaucoup plus égalitaire que dans les années 1960. Mais il y a encore de grandes différences en termes d’accès à l’emploi ou aux études supérieures entre les minorités ethniques et les Blancs.

Trump ne commet-il pas une erreur en s’attaquant à des icônes, comme Stephen Curry ou LeBron James, qui sont des sportifs adulés aux Etats-Unis et dans le monde entier ?

Oui, c’est un gros risque qu’il prend. Ce sont des héros pour toute une partie des Américains, pas seulement pour les Noirs. Je crois qu’il sous-estime le pouvoir d’influence du sport aux Etats-Unis. Il se désintéresse complètement de l’attribution des JO à Los Angeles en 2028, il a eu des mots durs sur l’exercice physique en disant que cela ne servait à rien, il a supprimé les installations cyclables pour les employés à la Maison-Blanche…. Il minimise l’influence et le pouvoir du sport. Cela peut lui coûter cher.

Une grosse partie des Américains ne voit-elle pas d’un mauvais oeil le fait de s’agenouiller pendant l’hymne ?

Dans les témoignages de sportifs depuis dimanche, la plupart prend la précaution de dire qu’ils sont américains, qu’ils sont fiers de jouer sous les couleurs de leur pays. Il y a peu de chances que ces grands sportifs soient taxés d’être «Unamerican» (mauvais Américain). Dans de nombreux tweets et réactions, les sportifs soulignent que le drapeau et l’hymne américains n’appartiennent pas à Donald Trump, qu’ils appartiennent à tout le monde. Cette appropriation par Trump et, au-delà de lui, par l’Amérique blanche, des signes de l’identité américaine est remise en cause. Dans cette affaire, une grande partie des Américains vont aller dans le sens de LeBron James en disant qu’ils ne se reconnaissent pas dans ce président.

La protestation des sportifs peut-elle s’élargir sur d’autres fronts ?

Les footballeurs américains sont de véritables héros nationaux. Ils peuvent alimenter la réaction anti-Trump, créer une onde de choc importante du côté des militants anti-racistes, des sponsors… On le voit depuis ce week-end, il y a eu beaucoup d’articles et de réactions. Est-ce que cela peut rejoindre d’autres types d’opposition, comme la défense de l’environnement, le droit des femmes ou des autres minorités ? Cela reste à voir. Il sera intéressant d’en observer les répercussions.

Propos recueillis par Sébastian Compagnon
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