ANALYSES

Catalogne : « On est dans une logique de fuite en avant des deux côtés »

Presse
18 septembre 2017
En 2010, environ 15 % des Catalans étaient favorables à l’indépendance. Ils sont plus de 40 % aujourd’hui. Comment peut-on expliquer cette montée du sentiment séparatiste ?

Le sentiment séparatiste était en progression, effectivement, mais à l’approche du référendum on constate un petit répit. La majorité des Catalans ne se retrouvent en réalité ni dans la position du gouvernement indépendantiste de Carles Puigdemont ni dans la position immobiliste du gouvernement central de Mariano Rajoy. Certains voudraient une solution médiane, à savoir un statut d’autonomie qui reconnaisse la Catalogne comme une nation dans la nation espagnole avec des compétences fiscales élargies. En 2006, cette position, soutenue par une majorité de Catalans, avait permis l’adoption d’un nouveau statut d’autonomie [l’Estatut catalan] avec le soutien du gouvernement socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero et de la Gauche républicaine catalane (ERC), historiquement indépendantiste.

Le Parti populaire saisit alors le tribunal constitutionnel, qui en 2010 finit par invalider 14 des 226 articles de l’Estatut catalan. A ce moment-là, Convergence et Union [CiU, devenu PdeCat en 2016], qui était un parti nationaliste mais non indépendantiste, a basculé dans le séparatisme. Depuis, il mobilise ses électeurs aux côtés de ceux de la Gauche républicaine, qui se sont sentis trahis par Madrid alors qu’ils étaient prêts à mettre une sourdine à leurs revendications. Le divorce avec la capitale a déclenché la dérive des nationalistes, qui se sont radicalisés puisque il n’y avait plus aucune manière d’obtenir davantage de droits à l’intérieur de l’Espagne.

La bonne santé économique de la Catalogne est-elle l’une des raisons du développement du sentiment indépendantiste ?

L’un des débats centraux entre Barcelone et Madrid repose sur la prétention des Catalans à obtenir les mêmes compétences fiscales dont bénéficie le Pays basque, qui lève ses propres impôts et ensuite négocie avec Madrid ce qu’il restitue à l’Etat. Est-ce que la Catalogne – qui représente environ 20 % du PIB espagnol – est victime d’une fiscalité défavorable ? C’est une vieille revendication partagée par la plupart des régions riches de l’Europe, qui ne veulent pas payer pour les régions pauvres au nom de la solidarité nationale. Ce qui fait débat en Catalogne c’est jusqu’où doit aller cette solidarité. Du côté de Madrid, on se demande pourquoi on devrait accorder un statut particulier aux Catalans, qui sont considérés par les citoyens de l’intérieur et le sud de l’Espagne comme des gens riches. Pour le Parti populaire, l’Espagne est une, grande et indivisible et ne supporte pas de faire des concessions au nationalisme catalan.

M. Puigdemont proclamera-t-il l’indépendance si le oui l’emporte, même si le résultat est rejeté par Madrid ?

M. Puigdemont ira sans doute jusqu’au bout de sa logique. Le oui l’emportera lors de la consultation du 1er octobre, puisque ceux qui reconnaissent l’autorité de Madrid le considèrent illégal et n’iront pas voter. Or, la loi pour l’organisation du référendum, votée à Barcelone le 7 septembre, octroie au Parlement catalan le pouvoir de proclamer l’indépendance quelle que soit l’abstention. On est dans une logique de fuite en avant des deux côtés.

Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas utilisé l’article 155 de la Constitution qui lui permettrait de suspendre le statut d’autonomie ?

Il est très difficile pour Madrid de jouer cette carte-là. Les éléments les plus radicalisés de la droite espagnole réclament effectivement l’application de cet article. Mais les socialistes refusent de soutenir une telle action, ainsi que le Parti nationaliste basque, qui a 5 députés au sein du Parlement espagnol nécessaires à Mariano Rajoy pour garder sa majorité. Ils ont d’ores et déjà prévenu que, si le gouvernement appliquait cet article, ils retireraient leur soutien au Parti populaire. Du côté catalan, les nationalistes ne vont pas non plus abandonner la cravate pour la kalachnikov. Leur bras de fer reste dans un cadre qui se veut légal, institutionnel et non violent. La seule manière de faire baisser les tensions est donc l’ouverture d’un dialogue sans conditions.

La déclaration de l’indépendance marquerait-elle instantanément la sortie de la Catalogne de l’UE ?

Ils voudraient y rester, mais Carles Puigdemont a essayé de défendre son dossier en allant d’un pays à l’autre de l’UE et personne ne l’a reçu. Il est allé à Bruxelles en mai, pour rencontrer le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, qui ne l’a pas reçu – alors qu’il avait reçu le président du gouvernement basque. Puis M. Juncker a rappelé, le 13 septembre au Parlement européen, que la base fondamentale de l’Europe c’est le respect des lois et des constitutions.
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