ANALYSES

Pour la France, une récolte en blé à nouveau performante

Tribune
12 septembre 2017
La moisson en blé de l’été 2017 a-t-elle été bonne en France ?

En effet, la France retrouve cette année un niveau de production en blé très satisfaisant, avec 37 millions de tonnes (Mt) récoltées. Cette moisson fait suite à une année précédente très défavorable. Il faut se souvenir qu’à l’été 2016, avec une récolte de 28 Mt environ, nous étions sur un plafond très bas, le pire depuis 30 ans, lié à des conditions météorologiques qui avaient été extrêmement pénalisantes pour le secteur agricole et la production de blé. Sur le plan de l’exportation, alors que ce produit fait partie des atouts majeurs de la France agricole, seules 11 Mt de blé ont été commercialisés en dehors de l’Hexagone, un chiffre compris entre 17 et 20 Mt sur les dernières années. Résultat, entre les étés 2016 et 2017, correspondant à la campagne de commercialisation de la récolte 2016, la France n’a pas été au rendez-vous des marchés internationaux. Ses principaux concurrents, notamment ceux de la mer Noire (Russie et Ukraine), sont venus prendre des positions supplémentaires chez nos clients historiques du Sud de la Méditerranée. La très bonne récolte 2017 devrait toutefois permettre à la France de retrouver sa place de premier exportateur de blé en Europe et d’acteur majeur sur la scène internationale. La moisson abondante et une qualité propice à l’exportation (avec des taux de protéine capables de répondre aux attentes des acheteurs), rassurent les pays importateurs. 2016 fut exceptionnellement basse en raison du climat, et aucunement parce que la France aurait fait des choix contraires au commerce agricole de denrées de première nécessité. Le blé joue un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire mondiale et concoure à la stabilité sociopolitique de nombreux pays, à commencer par ceux du continent africain.

Pourquoi l’enthousiasme semble finalement assez faible à propos de cette récolte ?

Le problème majeur cette année ne vient pas de la quantité ou de la qualité de la récolte, quand bien même il faut souligner que les moyennes nationales masquent certaines disparités territoriales, certaines zones de production ayant été victimes encore ces derniers mois d’une météorologie difficile. Mais, globalement, nous avons une année 2017 où la compétitivité des céréaliers reste à relativiser. En effet, les prix sont très bas sur les marchés internationaux, où les récoltes sont fortes un peu partout où le blé pousse. Compte-tenu de ce contexte et des performances productives qui restent impressionnantes en Mer noire, nous avons des prix du blé sur les marchés internationaux autour de 130 euros la tonne. C’est un niveau contraignant en France pour assurer une bonne rémunération des producteurs. Comme les trésoreries des exploitations céréalières avaient été affectées en 2016 par des moissons dégradées et des prix qui étaient déjà bas, les revenus pour ces céréaliers demeurent majoritairement faibles ou nuls. La problématique de la compétitivité du blé français se pose clairement. Les analyses de la société Agritel, spécialisée sur les céréales et les marchés, montrent actuellement que le prix payé du blé à l’agriculteur français à 130 euros la tonne n’est absolument pas soutenable dans la durée avec un coût de revient estimé à 160 euros la tonne.

La France doit donc à la fois faire face à une rude compétition mondiale mais aussi à une dynamique nationale bien délicate car tous les ingrédients ne sont pas réunis pour lui permettre de demeurer une puissance agricole de premier plan. Le paysage réglementaire n’offre pas toujours de vision stable pour les producteurs qui doivent aussi composer actuellement avec les débats sur le futur de la politique agricole commune (PAC) et ceux sur les nouvelles attentes des consommateurs. En somme, la France semble hésiter à miser sur ses céréales et son agriculture pour jouer un rôle concret dans la mondialisation, au moment même où d’autres pays montent en puissance sur ce terrain et que les besoins de la planète augmentent. L’enjeu est géostratégique et fait appel à des réflexions à tous les niveaux : formation, recherche scientifique, organisation de l’espace et logistique, priorisation thématique dans les politiques publiques, souveraineté nationale, diplomatie économique, responsabilité géopolitique envers le monde…

Pourquoi parler de géopolitique à propos du blé de la France ?

La France métropolitaine ne compte que pour 0,4% des terres émergées du globe. Mais avec 10% de l’Hexagone recouvert en blé, notre pays compte parmi les principales puissances productrices de la planète pour cette denrée vitale, avec environ 6% de la production mondiale. Le blé est consommé quotidiennement par 3 milliards de personnes. De plus en plus de pays doivent en importer pour répondre à leur demande intérieure et aux contraintes de production locale bien plus fréquentes dans les régions où le climat est structurellement défavorable. La France fait partie de ce club de pays privilégiés qui peuvent à la fois nourrir leur population en blé et disposer de surplus pour en exporter sur les marchés internationaux. Elle contribue ainsi aux équilibres alimentaires du monde à travers ce « pétrole doré », car il faut bien appeler ainsi ce blé de France qui génère de l’activité économique, tapisse nos paysages et participe à l’influence stratégique du pays dans une mondialisation où nos atouts ne sont pas légions.

500 000 emplois directs et indirects sont fournis en France grâce à la filière céréalière. Et grâce à l’exportation, notre pays se classe parmi les premiers pays fournisseurs de blé de la planète (environ 14% de l’exportation mondiale). Depuis le début du siècle, la France a produit près de 600 Mt de blé. En l’espace de 17 campagnes, de 2000-2001 à 2016-2017, ce sont 280 Mt de blé qui ont été exportées, dont 135 sur les marchés européens et 145 sur des pays tiers. Nos débouchés premiers sont en Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Egypte, qui ensemble, ont acheté 90 Mt de blé français depuis 2000. Près de 20% du blé récolté dans l’Hexagone est consommé dans ces 4 pays partenaires nord-africains. Et derrière se situent les marchés africains au Sud du Sahara, où là aussi la France est présente et attendue sur le plan alimentaire. Ces exportations ne sont pas anodines politiquement.  Au-delà des aspects financiers qui s’avèrent déterminants dans la balance commerciale de la France, les ventes de blé à l’étranger s’accompagnent très souvent de programmes de coopération scientifique, technique et logistique. Là où le blé s’exporte, ce sont aussi des savoir-faire, des expertises et des projets de développement locaux qui se mobilisent. Une dynamique bien aidée par la francophonie, dont on s’interroge parfois sur les véritables courroies de transmission. Avec le blé, la France conjugue commerce et développement dans sa sortie internationale.

Quelle place occupe l’enjeu mondial dans les Etats généraux de l’alimentation lancé cet été par le gouvernement ?

Quatorze ateliers ont été créés et se tiennent actuellement jusqu’à l’automne pour formuler une série de recommandations et de propositions afin de créer une base de travail entre les différents opérateurs de la filière agricole et agro-alimentaire (experts, producteurs, agriculteurs, transformateurs). Les grands enjeux autour de la création de valeur et de sa répartition équitable, de la rémunération juste aux agriculteurs ou de l’évolution des attentes des consommateurs sont au cœur de ce processus gouvernemental.

Même si l’essentiel des travaux porte sur des considérations nationales, l’Europe et l’international ne sont pas oubliés. Un atelier est d’ailleurs consacré aux marchés et à l’adaptation de l’offre française face aux défis de la mondialisation des systèmes alimentaires. Nombreuses sont les productions françaises qui s’exportent. Il faut de plus en plus examiner les interactions entre ce commerce et nos actions de coopération internationale. Dans son discours aux ambassadeurs le 29 août dernier, le président de la République a insisté sur le couple « sécurité et développement » à propos des partenariats avec l’Afrique. L’agriculture est bien au cœur de cette équation africaine à résoudre et au centre de ce que la France peut faire sur ce continent. La construction d’une plus grande sécurité alimentaire, qui passe par plus de production locale, plus de logistique, plus de réponses scientifiques et d’innovations, mais aussi plus de commerce, s’avère incontournable pour nourrir ce grand partenariat entre la France, l’Europe, la Méditerranée et l’Afrique. Dix ans après la crise alimentaire de 2007/2008, les tensions alimentaires dans le monde ne se sont pas estompées. Elles évoluent mais ne disparaissent pas, notamment en Afrique. Au-delà des Etats généraux de l’alimentation pour les Français, notre pays doit donc aussi continuer à jouer un certain rôle dans la sécurité alimentaire d’une partie du monde.
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