ANALYSES

Crise nucléaire nord-coréenne : quel est le positionnement de la Corée du Sud ?

Interview
11 septembre 2017
Le point de vue de Jean-Pierre Maulny
Vous rentrez de Séoul. Avez-vous senti une angoisse particulière par rapport à la crise nucléaire nord-coréenne ?

J’ai en effet participé au Seoul Defense Dialog qui s’est déroulé du 6 au 8 septembre. C’est une conférence sur la sécurité qui en est à sa 6ème année d’existence et qui prend de l’importance, 44 pays étant représentés. Je n’ai pas ressenti d’angoisse particulière. Les Coréens ont pris l’habitude des rodomontades nord-coréennes avec ses tirs de missile, voire ses essais nucléaires. Les dirigeants sud-coréens, le Président Moon Jae-in, le Premier ministre Lee Nak-yon et le ministre de la Défense Song Young-moo, pensaient même que Kim Jung-un procèderait à un nouveau tir de missile le 9 septembre, jour de la fête nationale de la Corée du Nord. Or celui-ci n’a pas eu lieu. En même temps la situation est ennuyeuse à plus d’un titre pour la Corée du Sud. Elle éloigne toute possibilité de dialogue avec la Corée du Nord qui était un des axes principaux de la politique du nouveau gouvernement Moon Jae-in, et oblige les Coréens du Sud à resserrer leur alliance avec les Etats-Unis, faute d’alternative à court terme pour garantir leur sécurité face à la nucléarisation de la Corée du Nord. Ils espèrent, par ailleurs, beaucoup d’un nouveau train de sanctions économiques pour faire fléchir Kim Jung-un et parce que celles-ci éloigneraient le risque de l’option militaire agitée par le Président américain Donald Trump.

Quelle est l’attitude des Sud-Coréens par rapport aux réponses de Donald Trump face à cette crise ?

Les Coréens sont obligés de réagir avec prudence aux réponses de Donald Trump, ne pouvant s’y opposer frontalement car ils n’ont pas d’autres alternatives en matière de sécurité. Le vice-ministre des Affaires étrangères, Lim Sung-nam a déclaré lors du Seoul Defense Dialog que « ce n’était pas le moment du dialogue » ce qui est une manière de ne pas contredire le président américain qui avait déclaré que la politique d’apaisement ne fonctionnait pas. En même temps, il n’a pas remis en cause le principe même de cette politique du dialogue que refuse aujourd’hui les Etats-Unis. Les Sud-Coréens ont également accepté les mesures tendant à renforcer la dissuasion de leur pays. Ainsi les capacités des missiles conventionnels de la Corée du Sud ne seront plus limitées au niveau de leur charge militaire. De même, ils ont accepté le déploiement de 4 nouveaux systèmes de défense anti-missile THAAD en plus des deux déjà déployés. Mais ce nouveau déploiement, qui a débuté la semaine dernière, n’est que provisoire. Le gouvernement coréen souhaite toujours que le déploiement de ces systèmes THAAD soit conditionné à une étude environnementale ce qui est une manière de refuser cette perspective. Enfin, Daniel Russel, qui fut assistant secrétaire d’Etat pour l’Asie de l’Est et le Pacifique de 2013 à 2016 et qui est réputé pour être un des artisans de la politique du pivot de Barack Obama, n’a pas reçu de réponse positive de la part des Coréens du Sud quand il a suggéré lors du Seoul Defense Dialog le déploiement d’armes nucléaires tactiques pour accentuer la posture dissuasive de la Corée du Sud.

Quelle est l’attente des Sud-Coréens à l’égard de la Chine dans cette crise ?

Le sentiment est que si les Sud-Coréens ne peuvent aujourd’hui compter que sur l’alliance de sécurité avec les Etats-Unis, ils cherchent à s’appuyer sur d’autres acteurs, qui se situent au plan régional, pour trouver une sortie de crise avec la Corée du Nord. Dans ce cadre, la Chine est l’acteur privilégié car c’est le plus puissant économiquement, celui dont on pense qu’il peut peser effectivement sur la Corée du Nord. D’autant que Pékin est favorable au dialogue avec la Corée du Nord ce qui est la politique que veulent poursuivre les Coréens du Sud. La Chine souhaite la dénucléarisation de la péninsule coréenne et préconise la fin de l’escalade militaire entre la Corée du Nord et les Etats-Unis afin de pouvoir engager ce dialogue. Toute chose qui dans l’immédiat satisfait pleinement la Corée du Sud. Pour les Chinois, la crise coréenne n’est pas une si mauvaise chose car cela en fait presque oublier l’opposition qu’ils rencontrent en mer de Chine du Sud du fait des conflits de souveraineté sur certaines îles. Mais cela leur donne une responsabilité accrue pour faire pression sur Kim Jung-un.

Ensuite, il faut bien voir que la crise coréenne a également pour conséquence d’obliger tous les acteurs de la région et non uniquement la Chine à se mobiliser pour trouver une solution. La coopération régionale s’en trouve renforcée. Les Coréens du Sud dialoguent de manière approfondie avec les Japonais ce qui est nouveau. La ministre de la Défense australienne, Marise Payne, a milité pour un dialogue trilatéral Japon, Corée du Sud, Australie et souhaitent des réunions plus fréquentes en format ASEAN + sur les questions de sécurité. Vladimir Poutine a également rencontré les dirigeants coréens et japonais. Un dialogue de sécurité est ainsi en train de naître au niveau régional. Dans ce contexte, les propos du président américain Donald Trump apparaissent décalés. Ils conduisent les pays asiatiques à mieux coopérer entre eux et, de ce fait, les Etats-Unis sont en train de perdre de l’influence dans la région. C’est au final, une situation un peu similaire à celle que l’on observe en Europe aujourd’hui.
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