ANALYSES

Expulsions de diplomates : où en est la relation russo-américaine ?

Tribune
11 septembre 2017
Les tensions russo-américaines semblent connaître leur apogée cet été, suite à une succession de mesures et contre-mesures décidées par les deux pays. En effet, le Congrès américain a voté fin juillet à son immense majorité (98 contre 2 au Sénat et 419 contre 3 à la Chambre des représentants) un nouveau train de sanctions à l’encontre de la Russie, condamnant son ingérence dans les élections présidentielles américaines en 2016, mais également les violations des droits de l’homme, l’annexion de la Crimée et les actions russes dans l’Est de l’Ukraine. Donald Trump, dont la marge de manœuvre est réduite par les soupçons de collusion auxquels il fait face, n’a pas eu d’autres choix que d’approuver ces nouvelles sanctions avec une ostensible mauvaise volonté. Il a particulièrement critiqué les éléments du texte qui limitent ses capacités en tant que président à annuler ou réduire ces sanctions.

La Russie a aussitôt réagi en annonçant l’expulsion de 755 membres du personnel diplomatique américain, soit près de 60% du personnel présent sur place pour atteindre un nombre d’agents équivalent à ceux travaillant pour la mission diplomatique russe aux Etats-Unis (455). Fin août, les Etats-Unis, invoquant le « respect de la parité » brandi par les Russes, répliquaient en ordonnant la fermeture du consulat russe de San Francisco et de deux bâtiments à Washington et New-York, bâtiments qui ont ensuite été perquisitionnés par les autorités américaines. L’argument avancé est celui d’autoriser le fonctionnement du même nombre de consulats (trois) dans chacun des pays. De nouveau, la Russie, par la voix de Vladimir Poutine en marge du Sommet des BRICS, a rétorqué que la « parité » s’appliquait au personnel (et non à l’immobilier) et que Moscou se réservait le droit d’expulser 155 agents diplomatiques américains supplémentaires, soit l’équivalent de la délégation onusienne russe, qui n’entre pas dans le compte de la mission bilatérale aux Etats-Unis. La Russie a également menacé de poursuivre les Etats-Unis devant une juridiction internationale[1].

Les politiques américaines et russes sont-elles pour autant diamétralement opposées ? La réalité est un peu plus contrastée. Il faut en effet souligner qu’il existe des points de convergence et/ou de coopération sur certains dossiers internationaux.

Ainsi, en Syrie, la collaboration russo-américaine sur la ligne de déconfliction semble plutôt efficace pour le moment, bien que les objectifs stratégiques diffèrent radicalement sur le sort du régime de Bachar Al-Assad. Mais la lutte contre l’Etat islamique (EI) permet pour l’heure de trouver un point d’intérêt commun.

En Afghanistan, l’envoyé spécial russe en charge du dossier a vivement critiqué la décision américaine de déployer des troupes supplémentaires dans le pays. Pourtant, il avait déclaré en janvier qu’un retrait des troupes américaines n’était pas souhaitable et provoquerait un effondrement du pays. De fait, les Russes ont un intérêt à la présence militaire américaine et à son efficacité sur le terrain. D’une part, la Russie n’aurait pas les moyens militaires suffisants pour intervenir sur place en cas de besoin, sans parler de la réticence de l’opinion publique russe qui conserve un douloureux souvenir de la guerre d’Afghanistan menée par l’URSS dans les années 1980. D’autre part, la présence américaine sur le territoire afghan permet de contenir l’expansion des Talibans et d’exercer une pression indirecte utile pour les négociations que Moscou mène avec eux.

Sur la Corée du Nord, une convergence, certes limitée, existe également. Bien que soulignant l’inefficacité des sanctions internationales de son point de vue, la Russie a voté en leur faveur à l’unanimité avec les autres membres du Conseil de sécurité lors des dernières résolutions concernant Pyongyang. Le président russe a appelé au calme, à « ne pas céder aux émotions », se posant comme un acteur rationnel et tranchant volontairement avec celle de son homologue américain, jamais avare de saillie outrancière sur le régime nord-coréen.

Sur nombre de dossiers internationaux, la Russie et les Etats-Unis sont donc en réalité obligés de coopérer, nonobstant les désaccords persistants et les postures idéologiques de part et d’autre. S’est construit ces dernières années un début d’interdépendance stratégique entre Russie et Etats-Unis, où l’un n’est pas en mesure de régler sans l’autre les conflits (Ukraine, Syrie, Afghanistan notamment) dans lesquels ils ont des intérêts et/ou se sont engagés. Cela représente un aboutissement de la stratégie russe depuis une quinzaine d’années, qui vise à devenir un acteur incontournable de la scène internationale, afin que ses positions soient systématiquement prises en compte, en particulier par Washington.

Mais pourquoi tant de tensions, alors qu’aucun évènement majeur n’est venu alimenter la confrontation sur les différents terrains de frictions ?

La séquence actuelle s’inscrit en fait dans des dynamiques internes à la politique américaine. Une grande partie de l’élite de Washington, démocrate comme républicaine, traditionnellement hostile à la Russie, s’oppose à Trump avec d’autant plus de vigueur que les soupçons d’ingérence russe en faveur de la candidature de ce dernier se font plus forts. Les oppositions à l’ancien magnat de l’immobilier et à la politique du Kremlin se mêlent, dans un contexte de révélations médiatiques incessantes. Vladimir Poutine ne s’y est pas trompé puisqu’après la décision américaine d’imposer des sanctions supplémentaires à l’encontre de la Russie, il s’est gardé d’attaquer directement Donald Trump, en préférant blâmer son prédécesseur Barack Obama et l’« establishment » washingtonien.

Cette lutte entre deux camps s’illustre avec le plus d’acuité sur le dossier ukrainien, dans lequel les Etats-Unis possèdent au final moins d’intérêts directs qu’en Syrie ou en Afghanistan. La situation est bloquée depuis la signature des accords de Minsk II en 2015 et les rencontres entre conseillers spéciaux cet été n’ont rien donné. Malgré les déclarations positives de Donald Trump (« Faisons la paix », en mai 2017), les Etats-Unis ont même semblé durcir leur position. Le secrétaire à la Défense, James Mattis, en visite fin août en Ukraine, s’est ainsi prononcé en faveur de livraisons d’armes aux Ukrainiens, ce qui devrait pourtant n’avoir aucun impact sur les rapports de force sur le terrain. Cette fermeté, qui divise les autorités politiques américaines, risque également de diviser la cohésion entre Washington et ses alliés européens, plus enclins désormais à engager des négociations avec la Russie. L’apaisement des tensions russo-américaines est ainsi largement lié à l’état des relations entre Donald Trump et le Congrès, qui ne devraient pas s’améliorer d’ici la fin de son mandat, ainsi qu’aux révélations potentielles sur ses possibles liens avec l’Etat russe durant sa campagne de 2016. Quant au petit jeu de l’expulsion des diplomates, s’il n’illustre qu’une facette de la relation russo-américaine, il obère malheureusement les capacités des deux pays à échanger, négocier et se comprendre.

[1] Ce jeu d’expulsion réciproque avait en réalité commencé dans les dernières semaines du mandat de Barack Obama, quand 35 diplomates russes avaient été ordonnés de quitter les Etats-Unis, suite aux accusations d’ingérence de la Russie dans les élections présidentielles américaines. A cela s’ajoutait la fermeture de deux complexes résidentiels russe sur le sol américain. Vladimir Poutine avait alors choisi d’ignorer ces actions, en comptant sur la future administration Trump, qu’il préjugeait plus favorable à Moscou.
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