ANALYSES

Pourquoi la Russie rechigne-t-elle à parler de « terrorisme » sur son sol ?

Presse
27 août 2017
Interview de Arnaud Dubien - L'Obs
Pourquoi la Russie ne considère pas l’attaque de Sourgout comme un attentat malgré la revendication de l’Etat islamique ?

Il peut y avoir un doute sur le profil et sur les motivations de l’assaillant. Le mode opératoire – une attaque au couteau – est en outre assez nouveau en Russie. Ceci dit, l’Etat islamique est très actif dans le Caucase du Nord. Or, le jeune homme tué par la police à Sourgout serait natif du Daghestan, où Daech a déjà perpétré des attaques. La présomption est donc forte, mais il n’y a pas, à ce stade, de certitude. Envisager toutes les pistes permet en outre aux autorités de peaufiner leurs éléments de langage et leur stratégie de communication ultérieure. Car il n’est pas exclu que d’ici quelques jours, la piste terroriste soit privilégiée et reconnue. Il ne s’agit donc forcément d’une volonté de dissimulation de la part de la Russie.

Pourtant, l’attaque a été évoquée de façon très anecdotique dans les médias et par les agences de presse.

C’est vrai qu’elle a été peu mise en avant dans les médias, alors que d’autres attentats comme celui de l’Airbus ayant explosé au-dessus du Sinaï en 2015 ou celui du métro de Saint-Pétersbourg en mars dernier avaient fait les gros titres. Mais avec les réseaux sociaux, l’information a circulé et les Russes sont au courant de ce qui s’est passé à Sourgout ; ils sont, dans leur majorité, convaincus que c’est l’œuvre des islamistes.

Il faut rappeler une évidence : la transparence n’est pas l’inclination première des autorités russes. D’autant qu’un nouvel attentat meurtrier mettrait en évidence les failles du système de sécurité nationale. Or, la légitimité du pouvoir actuel et de Vladimir Poutine en particulier s’est construite en partie sur sa capacité à restaurer l’ordre et à éradiquer le terrorisme. Il s’est d’ailleurs beaucoup appuyé sur le traitement médiatique du conflit en Tchétchénie.

La dimension géographique entre également en ligne de compte. Sourgout, c’est la Sibérie occidentale, très loin du Caucase. Admettre la piste terroriste signifierait que la menace islamique dépasse désormais ses bastions connus. Au demeurant, ce n’est pas totalement une surprise. Le directeur du FSB (service fédéral de sécurité) avait signalé, ces derniers mois, que des cellules de l’Etat islamique avaient été démantelées à Sakhaline, en Extrême-Orient. Mais ces déclarations étaient passées relativement inaperçues en l’absence d’attentat.

Pour la Russie, un attentat sur son sol, c’est un aveu de faiblesse ?

Un aveu d’échec, assurément, et le rappel d’une grande vulnérabilité. La gêne des autorités russes dans cette affaire s’explique aussi sans doute par l’approche de deux échéances majeures : la présidentielle de mars 2018 et la Coupe du Monde football de l’été prochain. De nouveaux attentats ne seraient pas du meilleur effet pour l’image de Vladimir Poutine et celle de la Russie en général.

Quelles sont justement les menaces terroristes auxquelles doivent faire face les Russes ?

Il y a trois grands théâtres qui font remonter la menace terroriste vers la Russie : le Caucase, l’Asie centrale (Afghanistan compris) et le Moyen-Orient. En Tchétchénie, la situation est en apparence « normalisée » : Moscou sous-traite la répression à Ramzan Kadyrov, président de la Tchétchénie, qui a par ailleurs toute latitude pour régner comme il l’entend sur la République et reçoit de généreuses prébendes du Centre. Mais la situation est fragile : de nombreux jeunes partis en Syrie vont chercher à revenir au pays après la chute probable de Raqqa et Deir-Ez-Zor. Le Daghestan reste instable et exposé.

Le deuxième risque pour la Russie est lié à la possible présence sur son territoire d’éléments radicalisés parmi les travailleurs immigrés d’Asie centrale – kirghizes, Ouzbeks et Tadjiks pour l’essentiel. Enfin, l’Etat islamique a déjà frappé – et cherchera encore à la faire – la Russie au Moyen-Orient. L’Egypte et la Turquie, destinations prisées des touristes russes, sont des cibles assez évidentes. Car l’intervention militaire russe est fortement dénoncée par l’Etat islamique.

Lorsque ses intérêts sont attaqués, comment réagit la Russie ?

La Russie organise la riposte en fonction des théâtres d’opération concernés. Au Caucase du Nord, elle est sur son territoire. La dimension répressive y est très forte. En Asie centrale, c’est un peu différent ; il y a les accords de coopération avec les Etats de la zone, comme l’Ouzbékistan et le Kirghizstan. Moscou dispose également de bases dans la région. En Syrie, la Russie riposte militairement contre l’Etat islamique. Elle nourrit aussi une coopération très étroite avec les services de renseignement des pays de la région, notamment avec l’Iran, l’Irak, la Jordanie et l’Egypte. Les réponses de la Russie sont finalement assez classiques, mais elle s’adapte aux terrains concernés.

Propos recueillis par Justine Benoit
Sur la même thématique