ANALYSES

Pourquoi le succès économique allemand tient aussi largement à d’autres facteurs que les réformes Schröder

Presse
17 juillet 2017
Interview de Rémi Bourgeot - Atlantico
Christian Odendahl, économiste du Centre for European Reform (CER) a récemment remis en cause les réformes adoptées à l’époque de Gerhardt Schröder au début des années 2000. Quel était le contexte à l’époque qui a expliqué leur succès ?

Ces réformes sont intervenues dans un contexte de difficulté de l’économie allemande, en particulier à la suite du processus de réunification. Un des volets consistait à réformer l’assurance chômage, rendue moins généreuse. Un certain nombre d’analystes, notamment en France, y voient la principale raison de la décrue du chômage allemand. Plus sérieusement, ces réformes ont surtout consisté à créer des catégories d’emploi à bas revenus et à décentraliser autant que possible les mécanismes de négociations salariales, en s’assurant par ailleurs le soutien de nombreux syndicalistes par un jeu de nominations.

Dans un contexte où, par définition, la zone euro ne connaissait plus de variations de taux de change en son sein, l’Allemagne a pu faire stagner ses coûts salariaux grâce à cette politique. Le pays connaissait une inflation plus basse que le reste de la zone ; ce qui, à taux de change fixes, est un gain direct de compétitivité. Avec, de plus, le découplage des salaires de la productivité, les coûts salariaux unitaires (ce qu’il coûte en salaires de produire une unité de PIB) ont décru tout au long des années 2000. Pendant ce temps, l’inverse s’est produit dans le reste de la zone, sans qu’il n’y ait eu aucune dérive salariale dans ces pays. C’est simplement l’effet, somme toute normale, de l’inflation plus élevée dans ces pays et de la stratégie allemande de compression salariale qui a fait radicalement diverger la compétitivité entre l’Allemagne et le reste de la zone. Dans le même temps, l’industrie allemande a réorganisé ses chaînes de production, en profitant notamment de l’accès à ses voisins à bas coûts d’Europe centrale, dans une logique d’intégration manufacturière.

Les réformes de Gerhardt Schröder relèvent d’une variante du mercantilisme en situation d’union monétaire : profiter de la disparition des variations de change au sein de la zone euro pour manipuler les coûts salariaux sans crainte d’appréciation de la monnaie nationale. L’excédent commercial allemand croît depuis cette époque sans limite. L’Allemagne a aujourd’hui un excédent de la balance courante de 9% du PIB, ou 300 milliards de dollars, plus que celui de la Chine, dont l’économie est pourtant trois fois plus grande. Progressivement, le chômage s’est résorbé, si bien que le pays s’approche aujourd’hui d’une situation de plein emploi.

Emmanuel Macron voudrait s’en inspirer pour sa politique économique. Dans quelles mesure est-ce qu’elle ne représentent plus un modèle à suivre ? Quels sont les principaux reproches que l’on peut leur faire ?

Ces réformes ont été mises en place en Allemagne il y a une quinzaine d’années. Si l’on comprend qu’elles ont porté leur fruit grâce aux gains de compétitivité générés pour les premiers à les mettre en œuvre, on peut s’interroger sur l’effet de réformes similaires en France.
L’industrie française en particulier est bloquée depuis plus de vingt ans à un niveau moyen-de-gamme. Pour faire simple, elle se situe désormais au même niveau de sophistication que l’Espagne, mais avec des coûts salariaux bien plus élevés. Dans le contexte de la zone euro, la France doit soit faire un véritable saut qualitatif en libérant le processus productif et créatif. Si elle s’engage simplement sur la voie du nivellement par le bas, il faudrait abaisser les coûts salariaux d’au moins dix pourcent.

Emmanuel Macron comprend beaucoup mieux l’économie et le jeu politique européen que ses prédécesseurs, et rien n’indique qu’il croit à un effet miracle de la réforme du marché du travail en France. Il a par ailleurs eu des mots assez durs en soulignant que l’Allemagne profitait du cadre chaotique de la zone euro, montrant comme à d’autres sujets qu’il manie parfaitement la grammaire du souverainisme.

Il espère surtout que la réforme du marché du travail lui permettra d’engager une sorte de bras de fer avec Angela Merkel, qui ne pourrait plus dès lors prétendre qu’elle est prête à s’engager dans un bond en avant fédéraliste dans la zone euro mais qu’elle attend pour cela que la France ait fait « les réformes ». Le gouvernement allemand ne manquera pas de faire des concessions, comme sur la création d’un petit budget pour la zone euro, mais certainement rien à même de rééquilibrer la situation économique au sein de la zone euro. Toute forme de fédéralisation et de solidarité financière systématique est taboue outre-Rhin et cela n’est pas prêt de changer.

Il ne fait aucun doute que le marché du travail français est dysfonctionnel. L’exil des cerveaux en est une manifestation particulièrement inquiétante. On a sur un large segment du marché du travail une rigidité extrême pour les employés de longue date et les fonctionnaires et de l’autre, une flexibilité extrême, en particulier pour une grande majorité de jeunes. Cette ligne de fracture ne suit plus en France, contrairement à l’Allemagne, une division en fonction des compétences ou des formations techniques mais une logique d’appartenance bureaucratique. Il ne s’agit pas seulement d’un problème d’inégalité mais de maintien du système économique, dans un contexte où les individus les plus productifs sont poussés vers la sortie. Voilà un sujet sur lequel nous pourrions sagement nous inspirer de l’Allemagne, où les ingénieurs peuvent encore travailler en paix, pour le bienfait de l’économie. Il est encore difficile de savoir si le gouvernement s’apprête à améliorer cette situation ou à l’aggraver.

Quels seraient les meilleurs secteurs à réformer pour débloquer la croissance de la France ? L’industrie ne semble plus le vecteur de développement le plus important.

L’industrie ne pèse plus qu’environ 10% du PIB et ne peut donc effectivement suffire à réorienter une stratégie économique. Elle reste cependant capitale car elle continue à structurer l’économie, du point de vue des gains de productivité et de la compétitivité. Par ailleurs, l’opposition administrative entre l’industrie et le tertiaire perd peu à peu de sa validité, avec la révolution industrielle en cours, sur la base des avancées robotiques et numériques. La carte mondiale de la compétitivité productive est sur le point d’être rebattue par l’automation, avec à la clé la possibilité d’un important phénomène de relocalisation productive. La focalisation, sous couvert de modernité, sur les catégories de services non exportables et qui n’offrent pas de perspective de gains de productivité significatifs nourrit le processus de relégation économique de long terme.
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