ANALYSES

Zone euro : Macron pourrait dévier du « Merkozy »

Interview
13 juillet 2017
Le point de vue de Rémi Bourgeot
Emmanuel Macron a reçu Angela Merkel ce jeudi dans le cadre du 19e conseil des ministres franco-allemand. L’analyse de Rémi Bourgeot, chercheur associé à l’IRIS, sur les déclarations d’ordre économiques.

Macron a appelé à Berlin à « bouger » pour corriger « les dysfonctionnements » de la zone euro. Quels sont-ils et l’économie allemande en bénéficie-t-elle vraiment comme le suggère Macron ?

Tout d’abord, il faut noter qu’il est relativement nouveau que Macron aborde ce sujet puisqu’au dernier sommet en juin, il avait fait attention à n’aborder que des thèmes consensuels entre la France et l’Allemagne. Aujourd’hui, le président français reprend un thème qu’il avait déjà évoqué en tant que ministre de l’Économie : celui des déséquilibres existant au sein de la zone euro et notamment du gigantesque excédent commercial allemand (avec un excédent primaire de l’ordre de 9% du PIB). L’Allemagne profite des dysfonctionnements de la zone euro dans le sens où elle a pu, par la disparition des variations de taux de change et par l’abaissement de ses coûts salariaux, étendre presque sans limite son excédent commercial et supprimer progressivement le chômage.

Ce qu’Emmanuel Macron veut dire, c’est que l’Allemagne n’a pas accepté les contreparties de cette situation. En effet depuis la crise de l’euro, on a dit qu’il fallait compenser les déséquilibres par des transferts budgétaires et par une union bancaire pour couvrir les risques financiers. Le président français estime donc que l’Allemagne profite du cadre de la zone euro sans contribuer de façon suffisante à la solidarité financière. De la sorte, Macron semble prendre un ton plus incisif, dans un contexte moins formel que celui des sommets européens. Peut-être qu’inquiète-t-il que le respect du statu quo européen, avec des avancées institutionnelles seulement limitées, puissent compromettre son mandat. En bref, il semble vouloir échapper au sort de ses prédécesseurs et souhaite probablement que le « Merkron » ne ressemble pas à ce que l’on appelait « Merkozy ».

Quelle serait la feuille de route économique à suivre pour l’UE, sous impulsion franco-allemande ?

D’une part, se pose la question institutionnelle consistant à accroître les transferts, notamment en cas de crise pour compenser la perte de compétitivité des voisins de l’Allemagne. Il s’agit du plus grand chantier de Macron. Il a d’ailleurs abandonné l’idée d’une fédéralisation des dettes puisque c’est un sujet tabou en Allemagne. Le président français essaye plutôt d’avancer sur l’idée d’un budget commun à l’échelle de la zone euro et de compléter la structure de l’union bancaire – qui reste très partielle aujourd’hui -, notamment avec un mécanisme d’assurance des dépôts bancaires.

D’autre part, se pose la question de la coordination économique. Aujourd’hui, l’Allemagne mène une politique budgétaire et une politique salariale qui ne prennent pas en compte l’ensemble de la zone euro ; raison pour laquelle elle est accusée d’avoir une approche unilatérale, voire mercantiliste. Macron commence donc à aborder ce sujet, ce que fait par ailleurs Donald Trump dans un style très différent…

Aujourd’hui, dans l’Union européenne, une coordination partielle n’existe que par le bas, via l’abaissement des coûts salariaux et la libéralisation du marché du travail – ce que s’apprête à faire la France. Cependant, il n’existe aucune coordination macro-économique. Et malgré le support extraordinaire de la Banque centrale européenne, avec des injections de liquidités massives et la dépréciation de l’euro, la situation actuelle fait penser à la logique de l’étalon or.

Berlin est-elle prête à changer sa vision économique ?

En Allemagne, il existe des tabous économiques forts, qui cachent des difficultés politiques quant à l’engagement européen. Dans le pays, le discours officiel est certes toujours pro-européen mais, concrètement, des tabous empêchent des avancées comme la fédéralisation des dettes ou une union bancaire. Les avancées allemandes sur ces sujets ne sont que symboliques. Par exemple, Angela Merkel a envoyé des signaux selon lesquels elle pourrait être prête à passer en force face aux eurosceptiques de son parti sur l’idée d’un budget commun à la zone euro. Cependant, il s’agirait d’un budget limité qui n’aurait pas d’impact macro-économique majeur. L’Allemagne reste sur une approche nationale de la politique économique qui n’est pas propice à un rééquilibrage de la zone euro.

Avant les élections, il est clair qu’il n’y aura aucune avancée. Par la suite, si Merkel est réélue assez largement, elle aura un mandat pour imposer des concessions. Ceci étant, les tabous restent très forts et la marge de manœuvre de la chancelière resterait limitée par une opposition forte au sein même de son parti. Cela peut inciter Macron et les autres dirigeants européens à se concentrer davantage sur la coordination macro-économique, qui représente l’aspect le plus important pour éviter les crises les plus dévastatrices.
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