ANALYSES

« Trump first » menace la paix au Moyen-Orient en jouant Arabie saoudite contre Qatar

Presse
11 juillet 2017
La situation très problématique dans laquelle se trouvent aujourd’hui le Qatar et les Qataris illustre, une fois de plus, à quelle vitesse la tension peut monter et même menacer la paix dans la région. Cette situation tient largement au chèque en blanc que Donald Trump a donné à l’Arabie saoudite en mai dernier pour combattre le terrorisme islamiste –émanant selon lui de Iran-, contre la signature de juteux contrats, dont 110 milliards de contrats d’armements. Etant donné les liens anciens entre l’Arabie saoudite et les entreprises Trump, les soupçons de conflits d’intérêts potentiels sont encore une fois exprimés. Rappelons par ailleurs que le pays ne figure sur aucune des deux versions du décret présidentiel surnommé « Muslim Ban », visant à limiter drastiquement l’entrée sur le sol des Etats-Unis des ressortissants de 6 pays arabo-musulmans. Un choix arbitraire ne devant rien au hasard.

Le 5 juin, soit quelques jours après la visite du Président américain à Riyad, l’Arabie saoudite, l’Egypte, Bahreïn, les Emirats arabes unis et le Yémen rompaient leurs relations diplomatiques avec le Qatar, au motif que ce dernier soutiendrait des groupes terroristescomme Al-Qaida, Daech et les Frères musulmans –lequel, rappelons-le, n’est pas un groupe terroriste. S’y ajoute un blocus à l’encontre du Qatar. L’Arabie saoudite a ainsi fermé l’unique frontière terrestre du Qatar, par laquelle arrivaient la majorité des produits importés de Jordanie, de Syrie ou encore du Liban, notamment les denrées alimentaires. La Turquie et l’Iran ont en partie évité la pénurie en approvisionnant le pays par terre et par mer, mais cela ne suffit pas à endiguer une sensible hausse des prix. Les autres conséquences du blocus sont une paralysie et a minima un allongement des vols commerciaux, étant donné que les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite et Bahreïn ont interdit à Qatar Airways de survoler leur espace aérien et que les compagnies de ces trois pays n’assurent plus de liaison vers Doha, la capitale du Qatar.

« Pratique désuète, le blocus pose des questions de légalité internationale », note Béligh Nabli qui ajoute que c’est « un instrument qui correspond traditionnellement aux pratiques en temps de guerre. Or officiellement les pays concernés ne sont pas entrés dans un conflit armé. Dès lors, le blocus en temps de paix suppose l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU d’appliquer ce type de sanction à l’égard d’un Etat qui menacerait la paix et la sécurité internationales… Cette résolution onusienne n’est pas à l’ordre du jour ».

La véritable raison de ces sanctions décidées par Riyad est le rapprochement du Qatar et de l’autre grande puissance régionale, adversaire juré de l’Arabie saoudite, l’Iran, avec lequel le Qatar partage notamment l’exploitation d’un gisement gazier sous-marin. Le blocus à l’encontre du Qatar permet ainsi à ses rivaux de régler leurs comptes avec ce petit pays richissime qui n’a pas manqué de s’attirer leurs jalousies depuis plusieurs décennies et qui, contrairement à son voisin saoudien, a soutenu les printemps arabes. Le Qatar partage en outre avec l’Arabie saoudite d’être sunnite et wahhabite, et celle-ci ne supporte pas d’être vue comme une concurrente: « depuis plus de vingt ans, l’émirat multiplie les initiatives pour exister face aux Saoudiens, qui se sentent à leur tour défiés par ce qu’ils considèrent comme une simple extension de leur royaume », écrit Pascal Boniface. Aujourd’hui, le nouveau dirigeant saoudien, le prince héritier Mohamed Ben Salmane, veut asseoir son autorité mais sans les propos de Trump condamnant sans nuances l’Iran à plusieurs reprises, le scénario serait différent.

Il s’agit notamment de pénaliser les Qataris. Même si ceux-ci sont ultra-minoritaires dans leur pays puisque la population est composée à plus de 90% d’étrangers, ils paient au prix fort les sanctions et subissent en particulier des expulsions lorsqu’ils résident dans l’un des 5 pays concernés. Selon plusieurs médias et associations, des familles ont été séparées, des enfants, parfois des nourrissons sont retirés à leurs parents, y compris dans les aéroports au moment d’embarquer. « C’est une violation des droits de l’Homme », estime le Comité national des droits de l’homme du Qatar. Human Rights Watch évoque pour sa part le cas d’un bédouin, bloqué depuis le 17 juin à la frontière avec l’Arabie saoudite, celle-ci le considérant comme un Qatari et le Qatar le considérant comme un Saoudien.

Le 5 juillet dernier, au Caire, les ministres des affaires étrangères d’Arabie saoudite, d’Egypte, de Bahreïn et des Emirats arabes unis ont condamné l’attitude selon eux « négative » du Qatar qui a rejeté leurs exigences, et l’ont du même coup menacé de nouvelles sanctions. L’ultimatum posé au Qatar consistait dans 13 revendications: fermeture de la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira –bras non armé de son influence dans le monde, avec le financement du sport occidental-, fermeture de la base militaire turque, réduction des relations avec l’Iran, etc.

Le Qatar a fait savoir qu’il s’agissait d’une « violation de sa souveraineté » et qu’il n’accepterait pas d’être mis « sous tutelle ». Le 9 juillet, il a aussi fait savoir qu’il allait demander des indemnisations pour ses ressortissants, et notamment des étudiants, expulsés de pays où ils travaillent ou suivent leur cursus universitaire. Ces demandes pourraient atteindre le milliard de dollars.

Le Qatar appelle néanmoins au dialogue, par la voix du chef de sa diplomatie, Mohamed ben Abderrahmane Al-Thani, de même qu’Oman, le Koweit et… le secrétaire d’Etat américain, Rex Tillerson. Car le Qatar est un allié des Etats-Unis qui y disposent d’un commandement militaire régional, le CentCom, et d’une base de 10.000 hommes. Tillerson se soucie également de l’équilibre des forces dans la région et du fait que le blocus gêne la lutte contre Daech sur place. Néanmoins, il est difficile de penser que le blocus ait été acté sans que les Etats-Unis n’en aient été informés au préalable.

De son côté, cependant, Trump a tenu des propos très durs contre le Qatar, qui n’ont fait qu’alimenter la machine. Il a en effet déclaré laconiquement, le 9 juin, entre autres: « La nation du Qatar, malheureusement, a historiquement financé le terrorisme à un très haut niveau ».

Cependant, rien n’est joué. Le Qatar, qui a les moyens de son indépendance économique en raison des revenus qu’il tire de ses exportations de gaz naturel, cherche aujourd’hui des soutiens en Europe. De plus, l’interdépendance économique qui lie les pays de la région pourrait bien pénaliser l’Arabie saoudite et ses alliés. Ajoutons que « l’hypothèse d’une exclusion du Qatar de l’instrument de coopération régionale –le Conseil de coopération du Golfe (CCG)– demeure peu probable. Une telle sanction politique suppose l’unanimité des Etats membres de l’organisation », estime B. Nabli. Plus grave encore, les rapports de force dans l’ensemble du monde arabe pourraient être bouleversés avec un front Iran-Qatar-Turquie qui pourrait se constituer contre l’Arabie saoudite, et dont les répercussions sont, pour l’heure, difficiles à anticiper.

En matière de diplomatie comme en économie, en fiscalité ou dans les politiques sociales –sans parler du climat-, le court-termisme le dispute, chez Trump, à l’obsession de faire le contraire d’Obama. Cependant, lorsqu’il s’agit de ses propres intérêts économiques et de ceux de sa famille, Trump privilégie-t-il une vision de long terme et confond-il géopolitique et business personnel? « America first » pourrait alors en réalité signifier « Trump first ». Ce serait logique pour un président qui n’aime rien tant que d’être dans la lumière.
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