ANALYSES

Quel scénario pour l’Europe ?

Tribune
10 juillet 2017
Le 1er mars dernier, le président de la Commission européenne publiait son livre blanc sur l’avenir de l’Union : Réflexions et scénarios pour l’UE-27 à l’horizon 2025.

Cette réflexion s’inscrivait dans la célébration des 60 ans du traité de Rome en préalable aux commémorations de ce traité organisées à Rome à la fin du mois de mars. Elle venait aussi tenter de relancer une construction européenne en crise depuis plusieurs années et après deux votes dont les résultats laissaient quelque peu perplexes : le référendum britannique ayant engagé ce pays sur la voie d’une sortie de l’Union européenne (UE) et l’élection du président Donald Trump aux Etats-Unis. Ces deux évènements pouvaient en effet inquiéter quant à l’avenir de l’UE mais ils pouvaient aussi être source d’opportunités nouvelles.

La Commission européenne proposait ainsi 5 scénarios pour l’avenir :

  • Le premier « S’inscrire dans la continuité » est le scénario du statu quo dans la démarche, au sens où les pays de l’UE ne s’engagent que dans la poursuite des réformes en cours sans augmentation notable du budget de l’UE (une modernisation est toutefois annoncée sans que l’on sache vraiment de quoi il est question…), sauf exception de certains pays sur certains dossiers. Malgré les apparences, il s’agit d’un scénario relativement ambitieux puisque nombre de dossiers sont sur la table aujourd’hui, comme le renforcement de la zone euro, la régulation financière (vers une union bancaire, voire fiscale), le domaine de la défense ou de la politique étrangère… Pour autant et comme c’est déjà le cas aujourd’hui, il présente des risques de crises (négociation de traités commerciaux bilatéraux par exemple) ou d’immobilisme sur un certain nombre de dossiers (défense ?) pour lesquels les divergences de points de vue ne permettraient pas de parvenir à un consensus.

  • Le deuxième « Rien d’autre que le marché unique » est à l’inverse plutôt un scénario du renoncement, cantonnant la construction européenne à sa dimension économique dans la mondialisation. Il peut aussi être considéré comme le scénario de la dernière chance face à des opinions publiques qui ont mal accepté l’orientation plus politique du projet européen, comme le suggère la baisse de l’adhésion populaire dans les eurobaromètres ces dernières années. Il signe aussi le retour du bilatéral sur les dossiers complexes et non consensuels et par conséquent, un renoncement au cœur même de la construction européenne : la solidarité. Il peut apparaître comme le scénario de la raison face aux risques de désintégration de la construction européenne. Il n’en est rien ! L’absence de solidarité affaiblira les pays, les régions ou les populations les plus faibles mécaniquement et cela malgré les aides européennes. En retour, il affaiblira aussi toute la région en créant des tensions et des crises de diverses natures et en ne permettant pas de relever les différents défis qui se posent aux Européens, tels que la lutte contre le changement climatique ou les inégalités ;

  • Le troisième « Ceux qui veulent font plus fort » apparaît comme l’option à géométrie variable. Chaque pays pouvant s’engager sur les dossiers qui l’intéresse. Le pari de la Commission est osé, l’idée étant que petit à petit chaque projet attirera d’autres pays. Il est incontestable que ce scénario est plutôt un scénario de progrès même si ce n’est qu’à quelques-uns. Toutefois, le risque n’est pas nul que sur certains projets, certains pays jouent les passagers clandestins en ne s’associant pas mais en profitant des retombées positives. Ce pourrait être le cas pour la défense européenne par exemple. Sur des projets économiques (fiscalité par exemple) ou sociaux (harmonisation des droits des travailleurs, congés maternité ou autres), le risque est celui du dumping : certains pays profitant de ne pas être dans le projet pour se positionner au mieux afin d’attirer les entreprises et les capitaux au détriment des pays engagés…

  • Le quatrième « Faire moins mais de manière efficace » est le scénario du recentrage. Plus ouvert que le scénario 2, il laisse la possibilité aux Etats ou à la Commission d’impulser de nouvelles démarches dans de nouveaux domaines comme le social ou la lutte contre le terrorisme. Il apparaît plus que le scénario 2 comme le scénario de la raison conduisant à recentrer les énergies sur les dossiers urgents ou qui peuvent être plus efficacement traités au niveau européen. Le recentrage peut permettre d’accélérer la prise de décision et la perception des effets de ces décisions sur les opinions publiques, relégitimant ainsi une construction européenne souvent perçue comme trop bureaucratique. La Commission devra cependant veiller aux dossiers qui lui sont laissés par les Etats pouvant être tentés de se décharger des cas difficiles… L’effet serait alors contraire à celui initialement recherché !

  • Et enfin le cinquième « Faire beaucoup plus ensemble » est probablement l’idéal vers lequel il faudrait tendre puisque c’est le scénario le plus ambitieux. C’est un scénario probablement prématuré dans le contexte actuel à la fois de crises de la construction européenne mais aussi d’Europe à 28, puis 27 ; à moins qu’un leadership pro-européen n’émerge dans les mois qui viennent, permettant alors de l’envisager. D’un autre côté, il faudrait alors définir une raison d’être à un tel scénario. Pourquoi en effet faire beaucoup plus ensemble ? La réponse est loin d’être aussi évidente qu’il y paraît ! Il est en effet question dans ce scénario d’une Europe siégeant dans toutes les grandes organisations internationales, d’une Union européenne de la défense complémentaire à l’OTAN, d’une politique étrangère confortée et renforcée par des crédits plus importants en matière d’aide humanitaire et d’aides publiques au développement et d’une politique migratoire commune… Autant de sujets qui sont loin, très loin de faire consensus en Europe ! Cela suppose aussi une grande réforme des institutions permettant d’améliorer le processus de décision…


Trois mois après la publication dans une séquence post G7, post G20, post élections françaises et dans la perspective des élections allemandes en septembre, il peut être utile de réfléchir à ce qui pourrait se passer. Les scénarios 3, « Ceux qui veulent font plus fort », et 4, « Faire moins mais de manière efficace », semblent être ceux qui retiennent le plus l’attention et qui focalisent les intérêts et le débat. Les annonces faites sur l’Europe de la défense, dont en particulier la création d’un fond d’investissements de la Commission européenne, ont pu être interprétées comme la volonté de relancer l’intégration. Il ne faudrait pourtant pas que cela masque les divisions qui perdurent et qui ont plutôt dominé les discussions lors du dernier sommet européen, fin juin. Le scénario 1, « S’inscrire dans la continuité » avec toutes ses limites et risques ou le 2, « Rien d’autre que le marché unique », pourraient alors s’imposer si une raison d’être au projet européen n’est pas rapidement définie.
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