ANALYSES

Victoire présidentielle et crise démocratique

Presse
22 juin 2017
Si certains commentateurs voient dans les dernières élections présidentielle et législatives une forme de renouveau de la Ve République, celui-ci s’inscrirait alors sur fond de profonde crise démocratique. Ce nouveau quinquennat renvoie en effet à une situation pour le moins paradoxale : d’un côté, le président Emmanuel Macron dispose d’une majorité parlementaire écrasante ; de l’autre, cette assise politique et institutionnelle ne saurait masquer le fait que la majorité présidentielle comme la majorité parlementaire procèdent d’une minorité du corps électoral. Le niveau record atteint par l’abstention à l’occasion du second tour des élections législatives confirme et aggrave une tendance structurelle.

Si le phénomène abstentionniste donne lieu à des interprétations diverses et contradictoires (acte passif ou actif, voire militant), il témoigne manifestement d’une réaction de rejet du politique et de «crise de foi civique». Outre l’ambiguïté autour de l’offre politique des candidats des principaux partis en lice, la défiance à l’égard de la classe politique et le sentiment que l’élection ne «changera rien» continuent en effet de dominer. Sur ce plan, «l’effet Macron» est pour le moins limité. Certes, les Français ne se désintéressent pas de la chose publique, loin s’en faut, mais ils ne sont pas convaincus ni de la réalité du principe d’alternance, ni de la capacité du politique à changer le réel.

En sus d’un déficit de représentativité politique et sociologique, la crise démocratique – confirmée plus que révélée par ce début de quinquennat – connaît un autre aspect : la situation de l’opposition parlementaire. Non seulement ce bloc est particulièrement hétérogène et fragmenté, mais au sein même des groupes ou franges de cette opposition parlementaire – de gauche comme de droite – les tensions risquent de réduire la lisibilité de l’échiquier parlementaire et de renforcer la porosité entre majorité et opposition. Dans ces conditions, c’est l’effectivité même de la fonction politique de l’opposition qui est posée.

«Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.» La célèbre apostrophe du député André Laignel  soumet le droit et la démocratie à la loi de la majorité. Alexis de Tocqueville fustigea cette forme de «tyrannie de la majorité», ce mode de gouvernement où «la majorité d’un peuple a le droit de tout faire». Certes, la démocratie implique par définition que le pouvoir politique soit exercé par la majorité que le peuple a désignée.

Toutefois, le respect de la minorité politique – en général – et de l’opposition parlementaire – en particulier – est également inhérent à la théorie de la démocratie. Celle-ci inclut la faculté de concurrencer l’offre politique de la majorité et de contrôler son action au pouvoir. C’est précisément dans ce cadre que s’inscrit la fonction de contre-pouvoir de l’opposition parlementaire, comme représentation institutionnelle d’une minorité politique. Dans un régime présidentialiste régi par le fait majoritaire, la pratique politique aboutit à une fusion du «couple exécutif/législatif» qui rend partiellement fictif le principe de séparation des pouvoirs.

Plus précisément, le fait majoritaire et la solidarité instituée entre le gouvernement et la majorité parlementaire mettent à mal la pertinence du principe de séparation des pouvoirs, auquel se substitue la configuration incarnée par le couple «opposition/majorité gouvernementale». Autrement dit, la véritable «séparation» est la séparation entre pouvoir majoritaire qui d’un seul tenant est à la fois exécutif et législatif, et opposition. C’est pourquoi, «[u]ne démocratie […] c’est un exécutif appuyé sur la Nation et contrôlé par une opposition parlementaire» (G. Vedel, Le Monde, 20 juillet 1958).

L’opposition parlementaire est au cœur du jeu démocratique et de l’équilibre des pouvoirs. Outre sa fonction de représentation (celle d’une minorité du corps électoral), la raison d’être de l’opposition parlementaire réside, il est vrai, dans l’action de contrôler la majorité parlementaire/gouvernementale et de proposer des solutions politiques alternatives. En cela, elle a vocation à exercer un contre-pouvoir politique, qui tire sa légitimité du suffrage populaire. A contrario, l’absence d’opposition parlementaire effective (qui se serait en incapacité d’exercer des droits élémentaires tels que le dépôt d’une motion de censure et la saisine du Conseil constitutionnel) élèverait d’un cran le niveau de la crise démocratique d’une Ve République qu’on dit en perpétuelle renouveau…
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