ANALYSES

50 ans d’occupation et de colonisation israélienne

Presse
5 juin 2017
Il y a un demi-siècle, arguant du blocus du détroit de Tiran décidé par l’Égypte, Israël déclenchait une « attaque préventive » éclair . Au terme de cette « Guerre des six jours » lancée le 5 juin 1967, les armées égyptiennes, syriennes et jordaniennes étaient littéralement défaites. Cinquante ans après, l’onde de choc géopolitique et symbolique ne cesse de se faire sentir sur le terrain et dans les consciences. Aujourd’hui encore, les « frontières de 1967 » servent de référence pour un règlement du conflit.

Cette troisième guerre israélo-arabe représente une (nouvelle) « grande humiliation » (« Naksa ») pour les Palestiniens et les Arabes, encore traumatisés par la « Nakba » (« grande catastrophe » qui désigne l’exode massif de près de 750 000 Palestiniens dans le contexte de la première guerre israélo-arabe de 1948-1949). La défaite face à l’ennemi israélien signe le déclin décisif du panarabisme en général, et du nassérisme en particulier. Leur incapacité politique et militaire à défendre la « cause palestinienne » finit de décrédibiliser cette idéologie, dont l’échec cinglant profite aux dictatures militaires, aux nationalismes locaux et aux islamistes …

Pour l’État israélien, l’événement historique est au cœur de la construction du roman national. Le sentiment d’insécurité à l’origine de la déclaration de guerre est encore au cœur de la stratégie de « défense-offensive » du pays. La victoire militaire s’est traduite à l’époque par une extension spectaculaire de sa superficie, avec le contrôle de la bande de Gaza, de la péninsule du Sinaï, du plateau du Golan, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Si Israël n’est pas loin de maîtriser l’ensemble du territoire de la Palestine mandataire, la «réunification» de Jérusalem revêt une signification historique et symbolique toute particulière. Après l’annexion de la partie arabe de la ville, la Knesset a déclaré Jérusalem «réunifiée» comme «capitale» («éternelle et indivisible») de l’État d’Israël en décembre 1980. Pareille revendication s’oppose frontalement à la volonté des Palestiniens de faire de Jérusalem-Est la capitale de leur hypothétique futur État. Une position palestinienne largement soutenue par la communauté internationale. En atteste le trouble suscité par les déclarations équivoques de D. Trump de transférer l’ambassade américaines à Jérusalem…

Côté israélien, le caractère total de la victoire militaire ne saurait masquer son coût politique et moral. Cette guerre a marqué un tournant pour l’image du pays qui passe alors d’une posture de «victime» à celle d’ «agresseur hégémonique». Du reste, l’offensive israélienne a fait l’objet d’une condamnation ferme par la France du général de Gaulle, en sus des ruptures diplomatiques décidées par nombre de pays socialistes ou du Tiers Monde. A l’échelle internationale, le 22 novembre 1967, la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU appelle au « retrait des forces armées israéliennes de(s) Territoires occupés » dans le cadre de l’instauration d’une paix durable. Elle restera lettre morte, du moins partiellement avec l’accord de paix (1979) avec l’Egypte (qui comprend le retrait du Sinaï) et la décision de retrait unilatéral de Gaza en 2005. Le plateau du Golan, la Cisjordanie et Jérusalem-Est s’inscrivent dans un dispositif d’annexion de facto, et ce malgré les accords d’Oslo. L’annexion partielle ou totale de la Cisjordanie s’est progressivement imposée dans l’agenda politique d’une partie substantielle de la droite israélienne au pouvoir. Une stratégie décrite dans le rapport du Quartet – qui regroupe l’ONU, l’Union européenne, les Etats-Unis et la Russie – publié en juillet 2016 : « La zone C [sous le contrôle exclusif de l’armée israélienne]comprend 60 % de la Cisjordanie et inclut la majorité des terres agricoles, des ressources naturelles et des réserves de terres. Près de 70 % de la zone C ont été pris de façon unilatérale pour utilisation exclusive par les Israéliens, essentiellement par leur inclusion dans les limites des conseils locaux et régionaux des colonies ou leur désignation comme “terres d’Etat”. ». Un récent rapport du Conseil Européen pour les Relations Internationales (ECFR) intitulé L’occupation illégalement prolongée d’Israël : quelles conséquences dans un cadre juridique intégré souligne que la présence d’Israël dans les territoires palestiniens occupés n’est pas justifiée par une nécessité militaire, mais par une volonté (illégale) d’annexion.

L’occupation militaire comme l’annexion rime avec colonisation. Débutée peu après la fin de la «Guerre des Six Jours», la politique de colonisation de la Cisjordanie ne s’est jamais démentie, pas même après les accords d’Oslo (1993). Dans un discours testamentaire qui restera dans les annales diplomatiques, l’ex-Secrétaire d’Etat américain John Kerry a rappelé juste avant de quitter ses fonctions que le nombre de colons pour la seule Cisjordanie, sans compter Jérusalem-Est, a augmenté de 270 000 depuis les accords d’Oslo, dont 100 000 depuis 2009 et l’arrivée à la Maison Blanche de Barack Obama, qui avait fait du gel de la colonisation sa priorité.

L’immigration juive, l’appropriation foncière et le peuplement initiés à la fin du XIXe siècle ont acquis une nouvelle dimension après la Guerre des Six jours. Cette évolution témoigne d’un double phénomène inhérent au conflit israélo-palestinien : l’enjeu démographique et le poids de la religion sur le sionisme moderne. Si, juste après la Guerre des Six Jours en 1967, de rares colonies sont installées par le gouvernement dans des zones peu ou pas peuplées et récemment conquises, à partir du début des années 1970, des colons procèdent à des installations illégales même aux yeux du droit israélien. Entre les colonies pérennes, installées le plus souvent à proximité de la ligne d’armistice de 1967, et légalisées au fur et à mesure par la justice israélienne – mais pas par la communauté internationale –, il existe des avant-postes. Ces avant-postes sauvages ne sont pas reconnus par l’Etat – mais sont le plus souvent tout de même protégés par l’armée – et sont parfois démantelés à grands frais. Ils ont tous été installés après les accords d’Oslo de 1993, alors que Tel-Aviv s’était engagé à ne plus en autoriser.

Au début des années 1970, les gouvernements israéliens successifs, dirigés par le parti travailliste ou le Likoud, ont développé une politique de colonisation dans les territoires occupés. L’argument de la sécurité d’Israël est alors invoqué (« Plan Allon »), les colonies faisant office de « défenses avancées ». À la fin des années 1970, le discours prend une tournure religieuse. Le mouvement « Goush Emounim » (« Bloc de la foi ») se trouve conforté par l’arrivée au pouvoir de la droite nationaliste incarnée par le Likoud, laquelle accélère l’accaparement des terres arabes et la colonisation. Si les considérations sécuritaires demeurent, une lecture religieuse s’affirme avec force dans la volonté de judaïser les territoires occupés. Le mythe du « Grand Israël » incluant la Judée et la Samarie (et donc une grande partie de la Cisjordanie) nourrit la quête d’une continuité territoriale entre les colonies israéliennes conduit à l’extension des quartiers de colonisation et à la constitution de véritables villes, reliées par des routes dites « de contournement » accessibles aux seuls colons. La Cisjordanie devient un territoire mité. Les restrictions de circulation en son sein en accentuent le morcellement. Enfin, un plan de judaïsation de Jérusalem-Est est clairement à l’œuvre à travers l’installation de Juifs dans la vieille ville arabe et dans ses alentours par voie d’expropriation et en raison du peu de nouvelles constructions.

Outre son caractère immoral, la colonisation – par le développement agricole et la construction de logements – est illégale au regard du droit international. Quels que soient les motifs justificatifs avancés (stratégiques, sécuritaires ou religieux). Mieux, les divers projets de colonisation violent les propres engagements internationaux de l’Etat israélien, lequel a ratifié (en 1951) la IVe convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, et applicable aux territoires occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem-Est. L’article 49 de ce texte phare du droit international humanitaire interdit en effet l’implantation de populations nouvelles dans un territoire conquis à la suite d’un conflit: «La puissance occupante ne pourra procéder à la déportation ou au transfert d’une partie de sa propre population civile dans le territoire occupé par elle». C’est sur ce fondement que les institutions politiques et juridictionnelles de l’ONU soulignent -à défaut de sanctionner – l’illégalité de la politique israélienne de colonisation. Ainsi, la résolution 465 (1980) du Conseil de sécurité des Nations unies rappelle que «la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer des éléments de sa population et de nouveaux immigrants dans [les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, y compris Jérusalem] constituent une violation flagrante de la [IV] convention de Genève […] et font en outre gravement obstacle à l’instauration d’une paix d’ensemble, juste et durable au Moyen-Orient » . Cette résolution appelle ainsi Israël à «démanteler les colonies de peuplement existantes». De manière aussi explicite, l’avis consultatif rendu le 9 juillet 2004 par la Cour internationale de justice – sur les conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé- précise que « les colonies de peuplement installées par Israël dans le territoire palestinien occupé l’ont été en méconnaissance du droit international ». Enfin, la récente résolution 2334 du Conseil de sécurité de l’ONU adoptée le 23 décembre dernier, grâce à l’abstention de l’Administration Obama, dénonce la colonisation israélienne en Cisjordanie et à Jérusalem-Est comme « une violation flagrante du droit international et un obstacle majeur à la réalisation de la solution à deux Etats ». Il n’empêche, on voit mal, sans des sanctions européennes et/ou américaines, comment une telle résolution pourrait donner un coup d’arrêt à la colonisation.

Malgré son caractère de « basse intensité » et son passage au second plan face au chaos régional, l’événement symbolique du 50e anniversaire de l’occupation israélienne souligne l’urgence d’une sortie de crise : le statu quo est moralement et politiquement intenable. Du reste, l’impression d’immobilité est trompeuse : fortes de l’impunité de fait dont jouit l’Etat israélien, l’occupation et la colonisation perdurent et se renforcent depuis la fin de la « Guerre des Six Jours ». Elles sapent la viabilité d’un Etat palestinien – reconnu par la grande majorité des pays de la communauté internationale – et éloignent la solution des deux Etats. Certes, Donald Trump a déjà évoqué « l’accord ultime » ainsi qu’un « grand accord de paix » au sujet du conflit israélo-palestinien. Mais peut-on s’en remettre aux déclarations du président Trump ?
Sur la même thématique