ANALYSES

Les Européens à l’épreuve du terrorisme

Presse
24 mai 2017
Berceau de la révolution industrielle, pôle de la vie culturelle anglaise, la ville de Manchester a été frappée par l’organisation de l’Etat islamique. Le Royaume-Uni n’avait pas connu une attaque terroriste de cette gravité depuis les attentats de Londres en 2005.

L’organisation djihadiste a revendiqué l’attentat dans un communiqué publié via son organe de communication Amaq : « Un soldat du califat a placé une bombe dans la foule». Derrière l’expression de « foule », il y avait en fait essentiellement des enfants et adolescents, nombreux parmi les 22 morts répertoriés aujourd’hui (le bilan macabre risque de s’alourdir). Cibler la jeunesse occidentale dans un lieu de concert de musique n’est pas idéologiquement neutre : c’est la « modernité décadente » qui est visée. La symbolique n’est pas sans rappeler l’attaque du Bataclan à Paris.

L’attaque intervient au moment où le déclin de l’organisation djihadiste semble se confirmer : retrait sur tous les fronts avec une raréfaction des territoires contrôlés en Syrie, en Irak et en Libye, des effectifs en forte baisse … Le paradoxe n’est qu’apparent : à défaut de pouvoir réaliser le projet d’ancrage territorial du « califat », à travers ce type d’attaque terroriste l’Etat islamique tente d’exporter la violence djihadiste pour mieux déstabiliser ses ennemis. La vague d’attentats qui frappe l’Europe risque donc de ne pas s’arrêter. Le phénomène des combattants quittant l’Europe pour mener le « djihad » en différents endroits du monde ainsi que la menace pour la sécurité qu’ils pourraient constituer à leur retour sur le territoire européen sont destinés à perdurer et à se renforcer avec le déclin de l’Etat islamique sous forme « territorialisée ».

Le terrorisme n’est pas un phénomène nouveau en Europe et s’inscrit dans une longue histoire. Celle-ci connaît une nouvelle page depuis le début du XXIe siècle. On dénombre ainsi plus de 2 200 morts dans des attaques terroristes menées sur le territoire européen, ce si on inclut à la fois la partie européenne de la Russie et la Turquie (membre de l’OTAN et partie prenante de la coalition internationale contre l’organisation Etat Islamique). Dans ce tableau macabre, il apparaît que l’essentiel des victimes du terrorisme en Europe fut d’abord lié au conflit entre les autorités russes et des groupes rebelles tchétchènes, puis aux organisations djihadistes Al-Qaïda (attentats à la bombe perpétrés à Madrid et à Londres, respectivement en 2004 et 2005) et « Etat islamique » (qui s’est « concentré » sur la France, la Belgique et la Turquie). Cette dernière vague née en 2014 traduit une véritable « offensive » terroriste sur le continent, qui vise à la fois des civils et des représentants de l’ordre.

En Europe, la lutte contre le terrorisme reste avant tout une compétence nationale…mais le cadre juridique permet aux Etats membres de coordonner les moyens d’actions et les autorités chargées de la politique antiterroriste. Cette offensive terroriste a imposé le renforcement de la « coopération » et les échanges bi ou multilatéraux entre les services de renseignement européens. Non sans résultat. Reste que pour les sociétés civiles chaque attentat est un attentat de trop et met à l’épreuve la confiance des citoyens dans la faculté fondamentale de leurs Etats à les protéger. C’est pourquoi, l’idée de créer une « superstructure européenne de renseignement » revient sans cesse en débat, sans que cette solution « bureaucratique » ne garantisse plus d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme.

Les réponses se situent ailleurs et s’inscrivent dans une stratégie plus large. Une politique efficace de lutte contre le terrorisme – articulée autour d’Europol et d’Eurojust – doit intégrer et conjuguer des aspects intérieurs et extérieurs. C’est ce que tente de réaliser les Européens. Sur le plan interne, non seulement l’Union européenne s’est dotée d’instruments pour renforcer sa capacité d’action (système d’information Schengen, mandat d’arrêt européen AIRPOL, système ECRIS, fonds de sécurité intérieure, registre des passagers aériens (PNR), mais une des priorités de l’UE dans le domaine de la lutte contre le terrorisme consiste à cerner et à traiter les facteurs qui contribuent à la radicalisation et les processus par lesquels des personnes sont recrutées en vue de commettre des actes de terrorisme. Sur le plan extérieur, l’UE est appelée à coopérer davantage avec les Etats tiers et avec d’autres organisations internationales et régionales.

Est-ce que ce nouvel attentat terroriste démontre l’inefficacité de cette stratégie européenne ? La logique de l’efficacité ne suffit pas à appréhender la complexité de la lutte contre ce fléau. Au-delà des stratégies mises en œuvre contre le terrorisme, le « risque 0 » comme la sécurité absolue n’existe pas. C’est peut-être le plus difficile à accepter pour des sociétés modernes aussi habituées à la stabilité qu’elles sont impréparées à l’imprévisibilité …
Sur la même thématique