ANALYSES

Visite de Mike Pence en Corée du Sud : quelle solution pour le « nœud » nord-coréen ?

Interview
19 avril 2017
Le point de vue de Barthélémy Courmont
Alors que Donald Trump a envoyé un porte-avion au large de la Corée du Nord et que celle-ci a procédé un nouvel essai de missiles – raté –, le vice-président des États-Unis Mike Pence s’est rendu en Corée du Sud lundi 17 mars. Le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS, en charge du Programme Asie.

Dans un tel contexte, comment interpréter cette visite du vice-président américain ? Quelle est la position de la Corée du Sud vis-à-vis de l’administration Trump ?

Il convient d’abord de rappeler que cette visite de Mike Pence s’inscrit dans la continuité de plusieurs déplacements d’officiels américains en Corée du Sud depuis quelques semaines, dont le Secrétaire d’État Rex Tillerson en mars. Ce dernier avait notamment déclaré que toutes les options étaient sur la table, dont la possibilité d’avoir recours à une intervention armée. Rappelons ensuite, et c’est le point le plus important, que les Sud-coréens vont élire dans quelques semaines un successeur à Park Geun-hye, destituée et aujourd’hui incarcérée en attente de son jugement pour corruption et conflits d’intérêts. Le grand favori de l’élection est Moon Jae-in, que Park avait devancé de peu en 2012. S’il est élu, monsieur Moon souhaite rétablir le dialogue avec la Corée du Nord, là où ses deux prédécesseurs ont échoué dans leur fermeté. Dans ce contexte, de nombreux Sud-coréens se montrent plus inquiets par les gesticulations de Washington que celles de Pyongyang, dont ils sont familiers. Ils savent surtout qu’une fois que Pence sera rentré à Washington et passé à autre chose, eux devront assumer les conséquences du durcissement de la posture américaine. Si certains milieux conservateurs restent très sensibles au discours de fermeté des États-Unis et si le soutien stratégique américain est encore considéré comme indispensable, les Sud-coréens aspirent à une plus grande autonomie dans leur gestion de la relation inter-coréenne. À ce titre, les provocations de l’administration Trump sont accueillies avec scepticisme.

Lors de sa visite, Mike Pence a déclaré que « l’ère de la patience stratégique est révolue ». Doit-on comprendre que les États-Unis comptent opérer un tournant stratégique majeur dans la péninsule coréenne ? En quoi consisterait-il ?

Il s’agit plus de rhétorique qu’autre chose de la part d’un dirigeant américain qui découvre un dossier dont il ignore la complexité ; c’est aussi un moyen de montrer que les États-Unis sont déterminés. Mais déterminés à quoi ? À empêcher que la Corée du Nord ne se dote de l’arme nucléaire, alors que ce pays a procédé à cinq essais depuis 2006 ? À éviter une guerre, alors que celle-ci n’est pas plus imminente aujourd’hui qu’hier ? À éviter que Pyongyang ne se serve de son chantage nucléaire pour marchander sa survie ? C’est sans doute à cette dernière patience que le vice-président américain fait référence. Mais de quels leviers disposent les États-Unis pour mettre en pratique cette rhétorique ? Clairement, ces propos sont moins adressés à Pyongyang qu’à Pékin et Séoul. Washington veut pousser la Chine à accentuer ses pressions sur le régime nord-coréen et s’invite dans la campagne présidentielle sud-coréenne pour maintenir une relation stratégique étroite, désormais symbolisée par les très controversés missiles THAAD (que Pékin critique avec vigueur). Il serait plus sage pour Rex Tillerson et Mike Pence d’attendre que l’élection présidentielle sud-coréenne livre son verdict, plutôt que de s’afficher avec le président sud-coréen par intérim (ancien Premier ministre de Park et très hostile à la Corée du Nord), Hwang Kyo-ahn, qui n’a aucune crédibilité aux yeux de l’opinion publique sud-coréenne. Ces visites à répétition auprès d’un président non élu et peu populaire en pleine campagne électorale sont d’une grande maladresse.

En réaction aux déclarations de Washington, la Corée du Nord s’est dite prête à répondre à « n’importe quel type de guerre ». Kim Jong-un est-il vraiment capable de se lancer dans un conflit armé ?

On retrouve côté nord-coréen la même volonté de mettre en avant une rhétorique agressive, une pratique qui n’a pas changé depuis des années. Cette rhétorique est par ailleurs alimentée par le durcissement du ton côté américain. Rien de surprenant donc. À la question de savoir si Kim Jong-un est capable de se lancer dans un conflit armé, la réponse est oui mais seulement s’il y est poussé. Rappelons que même sans tenir compte de ses capacités nucléaires, la Corée du Nord a les moyens de causer des dommages irréparables à la Corée du Sud, en particulier à l’agglomération de Séoul et ses 25 millions d’habitants, située à quelques kilomètres seulement de la zone démilitarisée. Mais la Corée du Nord souhaite-t-elle une guerre ? La réponse est évidemment non car celle-ci accélérerait inexorablement la chute du régime. En réalité, personne n’a intérêt à précipiter un conflit armé et chacune des parties en présence le sait pertinemment. C’est pourquoi la posture de l’administration Trump n’apporte rien de nouveau et relève d’un amateurisme inquiétant. Chercher des réponses au nœud nord-coréen est louable mais le faire en provoquant à la fois Pyongyang, Pékin et Séoul s’avère totalement contre-productif.
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