ANALYSES

Irak, Syrie – Bush, Trump : d’une guerre à l’autre

Tribune
11 avril 2017
Le 5 février 2003, le secrétaire d’État américain Colin Powell brandissait la preuve de l’existence d’armes chimiques et bactériologiques en Irak afin de préparer l’opinion publique américaine et mondiale à l’invasion de ce pays. Celle-ci avait par la suite enfoncé le régime irakien et l’ensemble du Moyen-Orient dans le chaos mais avait aussi engendré Daech. Pourtant, les forces démocratiques dans le monde s’opposaient à cette guerre et demandaient à ce que les inspecteurs de l’ONU continuent leur travail de vérification. Mais George W. Bush, convaincu de la puissance militaire américaine et ignorant tous les autres aspects du conflit, n’avait que faire de la légalité internationale de cette aventure et de ses conséquences.

Le 4 avril 2017, la représentante américaine Nikki Haley a également brandi devant le Conseil de sécurité de l’ONU des photos d’enfants syriens victimes de l’utilisation d’armes chimiques. Contrairement à la fausse preuve de Powell, ces photos sont authentiques : elles ont été prises dans la localité de Khan Sheikhoun en Syrie. Dès l’annonce de la nouvelle, Donald Trump a réagi avec émotion et a immédiatement imputé au régime syrien l’usage de l’arme chimique. D’autres pays occidentaux lui ont également emboîté le pas en adoptant la même position. Accusé avec certitude, le régime syrien rappelle le triste épisode de la guerre en Irak, durant laquelle certains alliés des États-Unis – notamment le Royaume-Uni de Tony Blair – juraient de l’existence d’armes interdites possédées par le régime de Saddam Hussein. En revanche, la Russie et l’Iran, alliés de Damas, sont convaincus que l’aviation syrienne n’a pas utilisé l’arme chimique. Moscou a donné des précisions en affirmant que l’attaque lancée par des avions syriens a touché un atelier de fabrication d’armes chimiques de l’opposition.

Le régime syrien avait déjà utilisé l’arme chimique en 2013, causant alors plus de 200 victimes. À l’époque, la France préconisait une action militaire contre la Syrie. Toutefois, Barack Obama – qui avait proclamé l’usage d’armes chimiques comme la ligne rouge à ne pas franchir -, avait plutôt choisi de travailler avec la Russie, sous le contrôle de l’ONU. Les stocks d’armes chimiques de Bachar al-Assad auraient alors été détruits.

Le 6 avril 2017, 59 missiles Tomahawks ont été lancés contre la base d’Al-Chaayrate, située dans la province de Homs au centre de la Syrie. Cependant, aujourd’hui la situation est différente de celle de 2003. En Syrie et en Irak, la coalition internationale est engagée dans une guerre contre le terrorisme. Déjà 24 heures avant cet événement tragique, Trump disait que sa priorité était de lutter contre Daech et que le sort de Bachar al-Assad dépendait du peuple syrien. Au-delà du fait que les déclarations belliqueuses de Trump – reprenant comme George W. Bush l’élan civilisationniste – et que ses changements d’attitude imprévisibles constituent un danger réel pour la paix dans le monde, il est surprenant de réclamer une intervention militaire et de soutenir le bombardement américain en se fondant sur la conviction de la culpabilité du régime syrien. Est-il suffisant d’accuser automatiquement le régime de Damas simplement parce qu’il est une dictature originairement responsable de la guerre dans le pays ? Pourquoi les Américains et tous ceux qui croient en la responsabilité de Bachar al-Assad ne veulent-ils pas soumettre une enquête à l’ONU ? Aussi, certains ne croient pas en la responsabilité du régime syrien dans cette affaire car grâce à l’appui russe, le régime se trouve dans une meilleure posture face à l’opposition. Pour eux, il n’aurait donc pas intérêt à user de cette arme prohibée. Au contraire, Damas et Moscou affirment l’existence et la fabrication de gaz sarin par l’opposition. Dans le passé, l’organisation onusienne a également accusé les rebelles d’avoir eu recours à l’arme chimique.

Après le brusque et inattendu changement de position du président Trump, les frappes américaines sont-elles liées aux difficultés du nouveau président ? Ce dernier subit en effet des revers répétés auprès de l’opinion et de la presse, ainsi qu’une division au sein de son propre camp. Remarquons aussi que l’attitude de Donald Trump vis-à-vis de Vladimir Poutine et l’intervention de ce dernier dans le déroulement de l’élection présidentielle américaine font actuellement l’objet d’une enquête aux États-Unis. Avec ces frappes en Syrie, le président américain voulait montrer qu’il pouvait être intransigeant vis-à-vis de la Russie si nécessaire.
Cela étant, si Trump fait désormais de la lutte contre Bachar al-Assad sa priorité en Syrie, il doit vite se rendre compte que la situation est différente de celle de 2013. Aujourd’hui, des soldats et conseillers militaires russes sont présents dans des bases syriennes. Si les frappes de jeudi soir n’ont fait ni morts, ni blessés parmi eux, la poursuite des frappes pourrait provoquer une situation extrêmement dangereuse ; à moins que Poutine ne reste silencieux face à d’éventuelles pertes. Moscou a fermement dénoncé les frappes américaines, les décrivant comme une « violation des lois internationales ». Le gouvernement russe a demandé en urgence une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU. Il a aussi annoncé vendredi la suspension de l’accord avec Washington sur la prévention des incidents aériens en Syrie. Cet accord avait été signé entre les deux pays en octobre 2015, après l’engagement militaire de la Russie en Syrie.

Une erreur stratégique

Après tant d’hésitations de Barack Obama sur la Syrie, lui qui était pris entre un régime dictatorial et une opposition largement sous l’influence des djihadistes, Donald Trump montre qu’il a au moins une vision stratégique sur ce conflit et les relations avec Moscou. Pour lui, l’exigence de lutter contre le terrorisme et les djihadistes prime sur tout le reste. Moins d’une semaine avant les frappes en Syrie, il avait clairement affirmé que combattre Bachar al-Assad n’était pas sa priorité. En Syrie, toutes les puissances impliquées dans la guerre poursuivent une stratégie cohérente, à défaut d’être défendable – contrairement aux pays européens, y compris la France, qui privilégient des considérations de type droits de l’hommiste. En 2011, la Turquie, en proie à des échecs successifs dans la région, voulait par le biais des Frères musulmans faire de la Syrie une zone d’influence. Pour l’Iran, la survie de Bachar al-Assad – allié fidèle dès le début de la révolution islamique – et du Hezbollah passe par sa victoire dans cette guerre. L’Arabie saoudite voyait, quant à elle, dans le conflit syrien l’opportunité de mettre l’Iran hors de la Syrie et de l’affaiblir dans la région. La Russie ne se permettrait pas d’abandonner le seul pays allié qui lui reste en Méditerranée. Dans la guerre syrienne, Poutine a vu la volonté des Occidentaux d’affaiblir davantage la Russie au Moyen-Orient. Or, durant l’épisode libyen, Moscou s’était déjà sentie trahie par ces derniers considérant qu’ils avaient outrepassé une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU votée par la Russie.

Quelle est aujourd’hui la nouvelle stratégie des Etats-Unis en Syrie ?
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