ANALYSES

Puissance et impuissance américaines au Moyen-Orient

Presse
9 avril 2017
Au cours de la campagne électorale qui l’a opposée à Hillary Clinton, Donald Trump s’est voulu catégorique sur sa volonté de désengager les Etats-Unis des affaires du monde en général et du Moyen-Orient en particulier. Motif : mieux se concentrer sur les affaires nationales au nom du principe à connotation nationaliste : «l’Amérique d’abord». La victoire du milliardaire américain et son entrée en fonction à la Maison blanche devaient ainsi sonner la fin des «aventures extérieures» et consacrer une stratégie de retrait initiée – sous une forme, une logique et une tonalité différentes – par Barack Obama et symbolisée par le départ des troupes américaines d’Irak. D’une certaine manière, le «nation building at home» et la réorientation de la diplomatie américaine vers le Pacifique prônée par Obama annonçaient «l’Amérique d’abord» et l’obsession chinoise de Trump.

Or, quelques semaines après avoir prêté serment, le président Trump est à l’origine d’un spectaculaire retournement : malgré des positions non interventionnistes longtemps martelées, il a décidé, sans l’accord du Congrès ni mandat de l’ONU, de lancer des frappes contre des infrastructures militaires syriennes. Le régime de Bachar Al-Assad qui était perçu jusqu’ici comme un élément constitutif de la lutte contre le djihadisme se retrouve en ligne de mire de la diplomatie américaine. Un revirement justifié officiellement par l’attaque chimique imputée au régime syrien qui a fait 87 morts, à Khan Cheikhoun. Si elle a pris de court la communauté internationale en général et la Russie de Poutine en particulier, cette intervention militaire a été unanimement saluée par les chancelleries occidentales. Trump, nouveau chef du «monde libre»?

Ce «coup diplomatico-militaire» confirme le caractère imprévisible de la présidence Trump qui prend forme sous nos yeux. Au point d’émettre cette hypothèse : ces frappes punitives contre le régime syrien n’ont-elles pas une simple visée de politique interne ? Ne s’agit-il pas de masquer un début de mandat calamiteux déjà marqué par une série de revers politiques et judiciaires ? Si l’hypothèse est vraisemblable, elle s’avère pour le moins partielle.

Car au-delà du caractère encore relativement illisible de la stratégie américaine, une clarification en faveur d’une ligne interventionniste – synonyme en l’espèce d’unilatéralisme – semble se dessiner. Deux signes avant coureurs l’annonçaient : une semaine après son entrée à la Maison blanche, Trump avait autorisé un raid terrestre au Yémen, qui a causé une trentaine de morts de Yéménites, dont de nombreux civils, et d’un soldat américain ; le départ de Steve Bannon du Conseil de sécurité nationale : l’éviction de cette figure de proue du discours isolationniste et de l’idéologie nationaliste est un symbole du tournant de la position américaine sur le conflit syrien. Un interventionnisme prôné semble-t-il par certaines figures importantes de la nouvelle administration américaine : le gendre et conseiller du président, Jared Kushner, le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, le secrétaire à la défense, James Mattis et le général H. R. McMaster.

Toutefois, si cette ambition devait se confirmer, elle ne s’inscrit à l’heure actuelle ni dans une stratégie d’ensemble, ni dans une volonté d’engagement politique renforcé en vue d’une sortie du conflit syrien. Si l’intensification de l’intervention américaine devait se vérifier, un flou saisissant demeure au sujet des raisons, des modalités et des objectifs précis d’une telle entreprise. A elles seules, les frappes aériennes décidées et mises en œuvre unilatéralement n’ouvrent nulle perspective stratégique et politique en vue de sortir la région du chaos dans lequel la puissance américaine a une part de responsabilité non négligeable… Une impasse qui tend à affaiblir la crédibilité et l’efficacité de cette stratégie unilatérale. Malgré le soutien diplomatique des alliés occidentaux, les Etats-Unis de Trump se retrouvent à la case départ de l’ère Obama.

Ainsi, derrière une capacité militaire toujours inégalée, les Etats-Unis sont confrontés à ce paradoxe : les frappes militaires décidées unilatéralement par Donald Trump sont révélatrices de sa propre impuissance politique dans une Syrie et un Moyen-Orient en décomposition. Si les Etats-Unis veulent vraiment peser, ils ne pourront le faire qu’avec des alliés de circonstance : la Russie en tête, mais aussi les puissances régionales comme l’Iran, la Turquie et l’Arabie saoudite. Trump apprendra – à ses dépens ? – que la réalité des rapports de force et des dynamiques régionales ont le dernier mot au Moyen-Orient.

La «doctrine Obama» privilégiait la diplomatie aux dépens de l’intervention militaire sous la forme d’un déploiement de troupes au sol (ce qui n’exclut pas le recours aux frappes aériennes et aux drones, loin s’en faut), après les fiascos des guerres menées en Afghanistan et en Irak pendant plus d’une décennie. Une volonté de privilégier les solutions politiques pour résoudre les crises qu’il a explicitée dans son important discours tenu devant la prestigieuse école militaire de West Point (28 mai 2015) : «Depuis la seconde guerre mondiale, certaines de nos erreurs les plus coûteuses ne sont pas venues de notre retenue mais de notre volonté de nous précipiter dans des aventures militaires sans penser à toutes les conséquences. L’armée est, et sera toujours, l’épine dorsale de ce leadership. Mais une intervention militaire américaine ne peut être la seule – ou même la première – composante de notre leadership en toutes circonstances». La «doctrine Obama» a montré ses limites en Syrie et au Moyen Orient. A défaut de doctrine, Trump devrait malgré tout retenir les préceptes d’Obama et éviter que sa conversion à l’interventionnisme ne soit synonyme d’un retour de l’idéologie néoconservatrice, celle-là même qui est en partie responsable du chaos qui règne dans la région…
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