ANALYSES

La Chine, la mondialisation et l’Occident

Presse
7 avril 2017
Au moment du premier sommet entre les présidents Donald Trump et Xi Jinping en Floride, au moins deux questions occupent les analystes de politique étrangère en Chine. Cette dernière doit-elle enfiler le costume délaissé par les États-Unis de leader de la mondialisation ? Par ailleurs, doit-elle se rapprocher de l’Europe pour prendre l’initiative tandis que l’Amérique de Trump se retire du jeu ?

Le mois de janvier dernier a vu la conjonction de deux événements édifiants : l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche le 21 janvier, et trois jours avant, le discours remarqué du président Xi Jinping au Forum de Davos, clairement en faveur de la mondialisation. Ces deux événements – sans parler des deux premiers mois chaotiques de l’administration Trump – ont laissé plus d’un analyste proche du pouvoir à Pékin entrevoir une relation plus étroite avec l’Europe comme une solution alternative viable. Cependant, plusieurs obstacles restent à surmonter pour permettre ce rapprochement.

Obstacles économiques

La montée du populisme dans plusieurs pays occidentaux et l’avenir de l’Europe comme entité économique inquiètent à Pékin. Tout cela importe énormément aux yeux de la Chine, qui fait la promotion de son agenda économique et stratégique autour du projet « One Belt One Road » (nom officiel des « nouvelles routes de la soie »), lequel cible clairement les consommateurs européens. Avec 420 millions d’habitants, l’UE reste le marché le plus important pour la Chine. En outre, l’Europe est une terre d’accueil majeure pour les investissements directs à l’étranger (IDE) des Chinois, atteignant en 2016 presque 35 milliards d’euros sur les 187 milliards d’IDE chinois dans le monde entier*.

L’an dernier, le résultat du référendum sur le Brexit a stupéfait les observateurs chinois. Beaucoup d’entre eux s’interrogent désormais sur l’impact de la prochaine sortie de la Grande-Bretagne de l’UE. Par ailleurs, un grand nombre de think tanks chinois (qui préfèrent ne pas être cités) se demandent si Marine Le Pen sera élue présidente de la République en France, ce qui conduirait à la dislocation de l’Union européenne et certainement à une hausse des tarifs douaniers. Si le marché unique européen devait se déliter, cela porterait un sérieux coup à la position pro-libre-échange du pouvoir chinois, en particulier au moment où tant d’incertitudes pèsent sur les relations sino-américaines – Rex Tillerson n’en a levé que quelques-unes lors de sa visite à Pékin, durant laquelle il s’est concentré sur la question nord-coréenne sans aborder aucun dossier économique sensible. La rencontre de Mar-a-Lago entre les deux présidents a aussi clarifié certains sujets, mais beaucoup d’interrogations demeurent sur la politique chinoise de Trump.

IL faut ajouter que les opinions publiques en Europe sont devenues bien plus critiques du commerce globalisé, dont la Chine est l’un des principaux bénéficiaires. Le 12 mai 2016, le parlement européen a voté une résolution contre la reconnaissance du statut d’économie de marché à la Chine « parce que cela augmenterait les chances de victoire électorale des mouvements populistes en Europe et en France en particulier », confiait à l’époque Reinhard Bütikofer, un eurodéputé allemand. Lors du premier débat télévisé du 21 mars avec les principaux candidats à la présidentielle, François Fillon a déclaré que la Chine était le pays bénéficiant le plus de la mondialisation et que « les entreprises européennes devraient être mieux protégées ». Emmanuel Macron avait approuvé. A l’instar du presque défunt TAFTA (le traité de libre-échange transatlantique), la Chine pourrait bien devenir un punching ball comme durant les dernières élections américaines.

Changement climatique

Le changement climatique pourrait être, selon certains, un domaine de coopération sino-américaine. Après tout, Donald Trump et un grand nombre de ses supporters devenus membres de son cabinet se sont opposés l’accord de la COP21 signé à Paris fin 2015 – certains ont même réduit le changement climatique à un canular. Mais il n’est pas sûr que la Chine soit disposée a prendre un rôle de leadership en la matière, aux côtés de l’Union européenne. Pékin n’est guère en position de le faire, m’a souligné un expert : d’un côté, le gouvernement doit faire face à une croissance économique au ralenti (6,5 %, selon le rapport du Premier ministre Li Keqiang à l’Assemblée nationale populaire) et de l’autre, il gère avec difficulté la transition vers une économie davantage axée sur les services. En outre, si la Chine est devenue plus attachée aux normes ces dernières années, elle tolère toujours très peu la supervision de ses engagements par des régulateurs internationaux. En témoigne son refus de reconnaître le verdict du Tribunal arbitral de La Haye le 12 juillet dernier sur la mer de Chine du Sud.

Dans le contexte global actuel, Pékin devrait opter pour la prudence. La relation sino-américaine est loin d’être réglée, et ni la Chine ni l’Europe ne sont préparées à rendre publique une « vision alternative du monde » selon l’expression d’un chercheur chinois. Personne ne sait où vont les relations transatlantiques sous la présidence Trump, mais les Chinois partent du principe que les Européens et les Américains se rapprocheront à nouveau au final. Parier sur un axe sino-européen est tout simplement irréaliste.

Il paraît difficile d’imaginer les Européens défendre un partenariat avec les Chinois ayant pour but de recréer un nouvel ordre mondial sans les États-Unis, ou à côté des États-Unis. De fait, la Chine est devenue un acteur plus important sur la scène globale avec un rôle accru aux Nations Unies. Mais elle reste essentiellement centrée sur elle-même et ses initiatives diplomatiques ont toujours coïncidé avec ses intérêts propres. Souvent, la Chine a limité son rôle au terrain économique. Quant à l’Union européenne, elle entre tout juste dans la phase de négociation du Brexit et tente toujours de comprendre ce que veut l’administration Trump en matière de relations internationales.

Le commerce demeure la question-clé. La Chine défend le « libre-échange », a réaffirmé Li Keqiang lors de sa conférence de presse en clôture de la session parlementaire à Pékin le 7 mars : « Nous sommes convaincus que tous les pays doivent travailler ensemble pour le faire avancer. Nous sommes ouverts à tous les arrangements commerciaux régionaux, établis ou proposés, et nous sommes favorables à ce qu’ils progressent. » A Washington, ce n’est pas vraiment le message entendu dans la bouche des idéologues de la Maison-Blanche. Il faut rééquilibrer les échanges commerciaux des États-Unis à travers « un commerce libre, équitable et réciproque », écrit Peter Navaro, le directeur du Conseil national du commerce nommé par Trump. Par réciprocité, il entend la hausse des tarifs douaniers et des sanctions contre les pays qui ne « jouent pas selon les règles ».

Cette vision est de plus en plus partagée, sous une forme édulcorée, par les Européens. Le 13 février dernier, inquiets de la fuite du savoir-faire technologique européen, les ministres français, allemands et italiens de l’Économie ont écrit à la Commission européenne pour lui demander de repenser les règles de l’investissement étranger dans l’Union. Alors qu’un nombre croissant d’investisseurs non européens rachètent des entreprises européennes de hautes technologies au service de leurs objectifs stratégiques, les investisseurs européens se heurtent souvent à des barrières lorsqu’ils veulent investir dans d’autres pays, se sont plaints les trois ministres dans leur lettre à la Commission de Bruxelles. Nombreux sont ceux qui y ont vu la Chine comme cible, en particulier en Allemagne où les niveaux de contrôle des investissements directs étrangers chinois sont jugés insuffisants. A l’automne dernier, le gouvernement allemand avait bloqué l’acquisition d’Aixtron, une entreprise spécialisée dans les semi-conducteurs, par un groupe chinois.

A Pékin, D’aucuns espèraient que la premier rencontre en Xi Jinping et Donald Trump permettrait de résoudre la question commerciale, en sorte que les relations sino-américaines puissent reprendre leur cours normal. Les États-Unis et la Chine sont des rivaux stratégiques, mais ils ont besoin l’un de l’autre sur le plan économique. Pour ce qui est des Européens, ils sont à l’évidence trop occupés par leurs propres élections pour enclencher des discussions de long terme avec les Chinois. Aucun des quatre grands pays de l’Union (Royaume-Uni, Allemagne, France et Italie) n’est en position de le faire. Une fois que les nouveaux dirigeants seront en place en France et en Allemagne, en particulier, ils devront s’entendre pour négocier avec la Chine, dont l’importance ne cesse de croître dans leurs économies. Les Européens devront aussi entamer un dialogue avec l’administration Trump, pour éviter que ne se mette en place un « G2 » sino-américain, qui satisferait particulièrement les autorités chinoises.

*Merics Papers on China : Chinese FDI in Germany and Europe, janvier 2017.
Sur la même thématique
Quel avenir pour Taiwan ?